Al-Faruqi, Tawhîd & humanisme


 Ce texte est basé sur le livre Al-Fârûqî, Ismâ’ïl Râjî (1982), Al-Tawhîd. Its implications for Thought and Life. International Institute of Islamic Thought, Virginia, USA.

De nos jours, on a tendance à vouloir réconcilier tout et son contraire, au nom d’une certaine ouverture d’esprit et de l’humanisme. Ainsi, dit-on, que l’on soit de telle ou telle religion, même laïque, on converge tous vers les mêmes « valeurs » et la même « spiritualité ».

On a tendance à voir l’humanité passée et présente selon deux grands blocs : ceux qui sont animés par une « spiritualité » et ceux qui se disent athées. Cette distinction est trop simpliste pour bien représenter ce qui est commun et ce qui est différent dans la vision du monde qui anime les uns et les autres. Quel est le contenu de la « spiritualité » et de la vision de l’homme qui anime les uns et les autres ? 

Comparons l’humanisme grec, chrétien, hindou, bouddhiste et moderne, avant de pouvoir clarifier l’humanisme de l’islam. Dans la réflexion proposée ici, le terme « humanisme » est pris au sens général de philosophie ou de vision de l’homme. Il n’est pas pris au sens de philosophie de l’homme particulière à la modernité. 

L’humanisme grec, chrétien, hindou, bouddhiste et moderne

Depuis la Renaissance occidentale, l’humanisme moderne se base sur l’humanisme grec. Ce dernier se fonde sur un naturalisme excessif qui consiste à diviniser l’homme, y compris ses vices. C’est pourquoi les Grecs ne voyaient pas d’anomalie en représentant les dieux avec des comportements et des vices humains : des dieux jaloux, qui se font la guerre, qui commettent l’adultère ou l’inceste… Les Grecs voient ces comportements ou ces passions comme aussi naturels que les vertus. Et comme ils ont tendance à diviniser la nature, alors ils divinisent également les injustices et le mal dont l’homme est capable. L’humanisme moderne est ambivalent : d’un côté, il reconnaît à chacun la dignité d’être humain et l’égalité de valeur. De l’autre, il pose la supériorité de l’homme moderne sur les autres ; il voit les autres comme des « sous-développés » ; il est ethnocentrique en ce sens qu’il prend les blancs ou plus largement l’occident comme le centre du monde, comme le summum de l’histoire de l’humanité, comme l’origine et le futur de toute l’humanité. Et lorsqu’il reconnaît la valeur des autres, c’est à deux conditions : soit que l’autre lui ressemble, devienne une sorte de singe ou de perroquet qui l’imite ; soit que l’autre s’expose comme une forme de particularisme exotique : « Les autres croient comme ceci, mangent comme ceci… » et jamais comme une réalité universelle. Ainsi, par exemple, les hamburgers de Macdonald se veulent universels tandis que le couscous, c’est l’alimentation des « autres ». La robe blanche est universelle : elle doit être portée dans tout mariage. Par contre, la robe rouge de Chine ou d’Inde, le caftan de Fès, ou encore, le karakou d’Alger, ce sont de jolies robes qui appartiennent uniquement aux « autres ». Bref, l’humanisme moderne classe les hommes sur terre en fonction d’un critère ethnocentrique : sont-ils « modernes » ou « traditionnels », « civilisés » ou « sous-développés », comme moi ou différents, soumis à mon modèle « universel » ou rebelles…?

De son côté, dès ses débuts, le christianisme se développe comme une réaction à l’humanisme gréco-romain. Là où l’humanisme grec divinise l’homme, l’humanisme chrétien le dévalorise à travers l’idée de « péché originel » qui devient la vérité permanente sur l’être humain : quoi que l’on fasse, on reste pécheur ; quels que soient ses efforts pour faire le bien et pour résister au mal, on ne mérite pas le paradis par ses actions. Cette vision de l’homme était nécessaire pour justifier l’idée d’un dieu qui s’incarne dans un homme – Jésus – pour vivre et expier les péchés de tous les hommes. Comme le péché est un défaut absolu qui caractérise l’homme, seul un autre absolu – Dieu fait homme – peut l’en sauver à travers sa propre crucifixion.

L’hindouisme, de son côté, classe les hommes selon des castes. La majorité fait partie de la classe inférieure des « intouchables » si elle est née en Inde, ou des « malichta » si qui sont les personnes religieusement impures. Les personnes qui font partie des intouchables ou des malichta sont condamnées à « rester à leur place », sans jamais pouvoir progresser dans leurs droits. Les « Brahmans » sont la classe supérieure des privilégiés. On peut changer de classe et de place uniquement après la mort, à travers la transmigration des âmes. Par conséquent, il ne sert à rien de faire des efforts pour vivre selon la justice et la sagesse. Suivre l’éthique, c’est de toute façon aller vers une impasse car ça ne changera rien à sa vie présente. En fait, l’hindouisme, comme le bouddhisme, considère toute vie humaine et toute autre vie dans la création comme une souffrance et une misère sans fin. La vie est mauvaise en elle-même. Le seul devoir de l’homme est de chercher à s’en libérer par la discipline et l’effort mental.1

Ainsi, l’humanisme grec, chrétien, hindou, bouddhiste et moderne sont tous des formes de séparatisme : l’humanisme grec sépare le grec et le non-grec, le citoyen qui a des droits et l’esclave qui n’en a aucun ; l’humanisme chrétien, hindou et bouddhiste sépare l’homme des belles choses de la vie présente et porte toute son attention sur « l’au-delà » ; l’humanisme moderne sépare le « moderne » du « sous-développé », le « civilisé » de celui qui « n’est pas encore entré dans l’Histoire »… Ces différents humanismes sont donc aussi différentes formes de séparatismes sources d’injustice sur terre.

En quoi l’islam permet-il de réformer et de dépasser les erreurs qui se sont incrustées dans les différents humanismes ?

L’humanisme de l’islam

  • L’homme est responsable de tout ce qui se passe dans le cosmos

Le Tawhîd affirme que l’homme a été créé de la meilleure des manières afin de servir Dieu :


« Nous avons certes créé l’homme dans la forme la plus parfaite » .

Coran 95 : 4
لَقَدْ خَلَقْنَا الْإِنسَانَ فِي أَحْسَنِ تَقْوِيمٍ

« Celui qui a rendu beau tout ce qu’Il a créé et qui a commencé la création de l’homme à partir de l’argile. Il a ensuite produit sa descendance à partir d’un vil liquide. Puis Il l’a formé harmonieusement et Il a insufflé en lui de Son Esprit. Et Il a fait pour vous l’ouïe, la vue et le cœur. Comme vous êtes peu reconnaissants ! » .

Coran 32 : 7-9

الَّذِي أَحْسَنَ كُلَّ شَيْءٍ خَلَقَهُ ۖ وَبَدَأَ خَلْقَ الْإِنسَانِ مِن طِينٍ

ثُمَّ جَعَلَ نَسْلَهُ مِن سُلَالَةٍ مِّن مَّاءٍ مَّهِينٍ
ثُمَّ سَوَّاهُ وَنَفَخَ فِيهِ مِن رُّوحِهِ ۖ وَجَعَلَ لَكُمُ السَّمْعَ وَالْأَبْصَارَ وَالْأَفْئِدَةَ ۚ قَلِيلًا مَّا تَشْكُرُونَ

Réaliser la volonté de Dieu sur terre est donc la raison d’être de l’homme. Dieu a offert à l’homme le dépôt – al-amânah – de la liberté et de la capacité (la raison, le cœur, les sens…) à faire le bien comme le mal. Aucune autre créature dans le cosmos ne jouit de ce dépôt et de la valeur que Dieu a donnée à l’homme. 


« En vérité, Nous avons proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes al-amânah (le dépôt de la liberté et de la responsabilité de faire le bien et le mal). Mais tous ont refusé d’en assumer la responsabilité et ils en ont eu peur, alors que l’homme s’en est chargé, par injustice et par ignorance » .

Coran 33 : 72

إِنَّا عَرَضْنَا الْأَمَانَةَ عَلَى السَّمَاوَاتِ وَالْأَرْضِ وَالْجِبَالِ فَأَبَيْنَ أَن يَحْمِلْنَهَا وَأَشْفَقْنَ مِنْهَا وَحَمَلَهَا الْإِنسَانُ ۖ إِنَّهُ كَانَ ظَلُومًا جَهُولًا

Dans l’univers, la volonté de Dieu se réalise sous la forme de lois naturelles. L’univers – par exemple, le soleil, la mer, l’animal… –, n’agit pas de façon morale. Car pour qu’une action soit morale, il faut qu’elle soit faite librement ; il faut pouvoir faire le bien et le mal. Or l’univers ne fait que réaliser la volonté de Dieu, sans avoir la liberté d’agir autrement.

Dans le monde des hommes, la volonté de Dieu se réalise sous la forme d’une loi morale universelle à laquelle chacun est invité, et que chacun a la possibilité d’accepter ou de refuser, en toute liberté. La volonté de Dieu est la meilleure loi morale que l’homme puisse suivre dans sa vie. Mais il a le pouvoir de la transgresser en suivant la loi chaotique de ses passions individuelles, des passions collectives, du conformisme aveugle à la tradition, à sa communauté ou à ses chefs religieux et politiques…

L’homme, une fois qu’il passe de la Maison du Paradis à la Maison de la vie sur Terre, devient le Khalîfah de Dieu, son vice-gérant sur Terre.


« Lorsque ton Seigneur a annoncé aux Anges : ‘‘Je vais mettre sur la terre un Khalîfah (successeur, vice-gérant).’’ Ils ont dit : ‘‘Vas-Tu y mettre un être qui y répandra la corruption et le sang, alors que nous Te glorifions et célébrons Tes Louanges ?’’ Il leur a répondu : ‘‘En vérité, Je sais ce que vous ne savez pas !’’ » .

Coran 2 : 30

وَإِذْ قَالَ رَبُّكَ لِلْمَلَائِكَةِ إِنِّي جَاعِلٌ فِي الْأَرْضِ خَلِيفَةً ۖ قَالُوا أَتَجْعَلُ فِيهَا مَن يُفْسِدُ فِيهَا وَيَسْفِكُ الدِّمَاءَ وَنَحْنُ نُسَبِّحُ بِحَمْدِكَ وَنُقَدِّسُ لَكَ ۖ قَالَ إِنِّي أَعْلَمُ مَا لَا تَعْلَمُونَ

A ce titre, il est appelé à exercer sa responsabilité (al-taklîf) envers Dieu, envers l’humanité et envers l’univers tout entier. Sa responsabilité ne doit pas être corrompue par l’égoïsme individuelle et collectif. Sa responsabilité ne doit pas s’arrêter à servir les intérêts de sa personne, de sa famille ou de sa communauté religieuse et politique. Sa responsabilité l’engage envers toutes les créatures vivant dans le cosmos que Dieu lui a confié, dont il peut jouir librement et en toute innocence, à condition de faire le bien et de résister à l’injustice.

Certains, au nom de « la religion », s’imaginent remplir leur engagement envers Dieu tout en se désengageant totalement vis-à-vis des hommes. Par exemple, ils croient pouvoir « se marier devant Dieu (dans leur cœur ou de façon clandestine, en petit comité), sans s’engager devant les hommes (devant la famille élargie, devant le voisinage et devant la loi…) ». Or cette façon de penser est une erreur que certains musulmans, influencés par la culture individualiste, confondent avec l’islam.

D’autres, au nom de « l’écologie », s’imaginent remplir leur engagement envers la nature et les animaux tout en se désengageant totalement vis-à-vis des hommes. Par exemple, ils sont passionnés par la cause de l’animal et sont indifférents face à l’injustice subies par les personnes dominées.

La responsabilité cosmique se distingue de la responsabilité individualiste, communautariste et nationaliste. Car elle ne confond pas les intérêts individuels et collectifs avec le Bien commun universel. La responsabilité cosmique se distingue également d’une vision réductrice qui limite la responsabilité à des devoirs uniquement envers Dieu, uniquement ou principalement envers la nature et l’animal… Comme la vérité et l’erreur, le bien et le mal peuvent être partout – dans sa façon de voir et d’être avec Dieu, avec les hommes et avec la nature – alors chacun est invité à réaliser le Vrai, le Bien commun et le Juste dans toutes les choses de la vie. 

Au regard de Dieu, la personne qui s’engage à concrétiser cette morale cosmique a plus de valeur que celle qui limite son action à une morale individualiste, communautaire ou nationaliste. Celle qui s’engage envers Dieu, l’homme et la nature a plus de valeur que celle qui s’engage au service de l’une de ces causes, tout en négligeant les autres.

En acceptant cette responsabilité morale cosmique, l’homme a plus de valeur que l’ensemble de la création, y compris les anges qui sont pourtant parfaits et qui ne font qu’obéir fidèlement à la volonté de Dieu. L’homme est plus grand que l’ange mais Dieu est plus grand que toute la création.

  • L’homme est invité à vivre selon le principe d’Unicité de Dieu, d’unité du monde, donc d’unité de la vie et d’unité de la famille humaine

Ainsi, l’islam est un humanisme, le seul humanisme à offrir une vision universelle de l’homme, aussi positive et optimiste, tout en reconnaissant les limites de ce dernier, sa capacité à faire le mal autant que le bien.

L’islam est le seul humanisme qui remet chacun à sa juste place : Allâhu akbar, Dieu est le plus grand car Il est le seul Créateur, le Centre de tout. L’homme est une créature de Dieu dont la valeur est supérieure aux autres créatures, en raison du dépôt de la liberté et de la responsabilité, en raison des capacités et des talents que Dieu lui a confiés. La nature a une valeur égale à l’homme en tant que créature de Dieu. Mais elle a une valeur moindre car elle n’agit pas librement mais seulement selon la volonté de Dieu imprimée en elle sous la forme de lois universelles.

En effet, la vision humaniste de l’islam ne consiste pas à faire l’erreur de diviniser l’homme et d’en faire le centre du monde. Elle ne consiste pas non plus à diviniser la nature et d’en faire la seule envers qui nous avons des devoirs. Elle ne consiste pas non plus à fausser l’image de Dieu et de la religion en croyant que l’on peut servir Dieu en desservant l’homme et la nature. Ainsi :

❝ Seul l’humanisme du tawhîd est authentique. Lui seul respecte l’homme en tant que créature, sans le diviniser ni le dévaloriser. Lui seul définit la valeur de l’homme en termes de vertus, et commence son évaluation par une note positive : dès leur naissance, Dieu a donné à tous les hommes les capacités nécessaires pour les préparer à leur noble tâche. Lui seul définit les vertus et les idéaux de la vie humaine en fonction du contenu même de la vie naturelle, au lieu de le nier. Ainsi l’humanisme du tawhîd affirme à la fois la valeur de la vie et celle de la morale. 2

En islam, l’éthique est inséparable de la religion : elle se base entièrement sur elle. D’ailleurs, la séparation entre les catégories « éthique » et « religion » est artificielle et arbitraire. En réalité, la religion – c’est-à-dire ses deux sources fiables : le Coran et la Sunnah authentique –, est la source même de l’éthique. La religion contient l’éthique comme une graine qui contient déjà tous les développements de la fleur. Cela veut dire que la réflexion sur l’éthique doit continuer à se développer de siècles en siècles, sur la base d’une religion ou d’une sagesse toujours actuelle.

La sagesse qu’enseigne le Coran ne connaît pas les couples d’opposés tels que « éthique-religieux », « politique-religion », « Eglise-Etat », « religieux-séculier », « sacré-profane ». La langue arabe du Coran n’a aucun mot dans son vocabulaire pour dire « profane » et « séculier ». Car la vie n’a rien de « profane » : c’est un don de Dieu et un dépôt qu’Il a confié à l’être humain. Car tout ce qui se passe dans la vie est l’occasion de réaliser la volonté de Dieu, c’est-à-dire la sagesse.

Adhérer au Tawhîd, c’est reconnaître la réalité : Dieu est Un. En tant que principe épistémologique, le Tawhîd implique l’unité de la vérité que l’on peut découvrir à travers l’étude de la révélation et de la création. 

En tant que principe moral, le Tawhîd implique l’unité de la famille humaine : on ne peut pas défendre le bien des uns en violant le bien des autres. Le bien ne se confond pas et ne se limite pas à son groupe, sa communauté, sa nation, sa génération ou son époque…

Il implique également l’unité de la personne : l’unité de ce que ce qui anime le cœur (intentions, idées, projets…), de ce qu’exprime la langue (discours privé ou public, expression culturelle…) et de ce que fait sa main (comportements, actions individuelles et collectives…). Autrement dit, lorsqu’une personne est animée d’une idée et d’une valeur, celles-ci entrent dans son cœur puis se développent naturellement dans sa façon de penser, de parler, d’agir et de vivre.

On peut même affirmer que ceci est une vérité générale : toute vision du monde a une dimension intérieure et extérieure, privée et publique, spirituelle et pratique, religieuse et politique.

D’ailleurs, on dit souvent qu’il n’y a pas d’amour mais qu’il n’y a que des preuves concrètes d’amour, en ce sens que si l’amour habite vraiment le cœur d’une personne, alors il ne peut que se manifester à travers des mots et des gestes d’amour, à travers une façon d’agir… Cette idée commune signifie une vérité très juste : ma bonne intention, mon bon sentiment, ma bonne valeur ou idée ne peut pas être uniquement théorique, confinée à « moi » ou à ma vie intérieure et privée. Elle n’a de sens que si elle se manifeste dans une action claire et publique. Cette vérité se retrouve dans la position des grands intellectuels français qui ont relié leur pensée et leurs valeurs personnelles à l’action collective et publique. Ainsi, par exemple, Bernanos s’engage pendant la guerre d’Espagne, et il prend position contre Franco après l’injustice qu’il a vue à Majorque. De même, Camus et Sartre ont cherché à agir publiquement à la lumière de leur pensée personnelle. De même, Foucauld écrit Surveiller et Punir et crée le « Groupe d’Intervention sur les Prisons ». Le lien entre pensée et action, entre valeurs personnelles et engagement public est le signe d’une volonté de cohérence et d’unité.

Ainsi, aucune valeur ou idée, aucune vision du monde ne peut exister dans le cœur d’une personne ou dans sa vie privée, sans se développer et s’exprimer dans sa vie collective et publique.

Être animé du Tawhîd comme vision du monde, c’est vivre sa vie publique et privée, et même secrète, sous le regard de Celui qui voit tout. C’est faire l’effort de vivre selon la volonté de Dieu dans toutes les situations quotidiennes, à l’intérieur et à l’extérieur, dans la forme et dans le fond, dans sa façon d’être et d’agir, dans ses intentions, dans ses idées et dans ses engagements sociaux… Cette vision offre une grande source de motivation et de discipline personnelle.

Ainsi, l’unité de Dieu, l’unité de la vérité et l’unité de la personne sont des vérités inséparables. Par nature, l’homme est capable de reconnaître la réalité et l’unité de Dieu. Depuis le premier homme – Adam –, jusqu’à ses descendants, la réalité et l’unité de Dieu est connue.

Reconnaître la réalité et l’unité de Dieu, c’est avoir al-îmân, c’est avoir la conviction et la certitude :

❝ Avoir conscience de cette unité, c’est ce que l’islam appelle l’expérience religieuse, al-îmân, c’est-à-dire la conviction ou la certitude. Ce n’est pas ‘’un acte de foi’’ ou une ‘’décision’’ que l’homme prend quand la preuve n’est pas concluante. Cela ne dépend pas non plus de soi ou de son appréciation personnelle par rapport à un cas où il n’y a rien d’évident et de certain : ce n’est pas un pari à la Pascal ! C’est une certitude qui est si convaincante par sa propre évidence et sa réalité que l’homme doit l’admettre comme il admet la conclusion logique d’un théorème géométrique.

Selon l’islam, la perception de l’unité divine arrive à l’homme de la même manière que la présence d’une ‘’donnée dure’’ entre dans la conscience. Sa ‘’vérité’’ est aussi rationnelle, déterminante et inévitable. L’unité de Dieu signifie que Dieu seul est Dieu ; qu’il n’y a rien, absolument rien dans la création qui Lui ressemble, et que donc absolument rien ne peut Lui être associé. Il est le Créateur de tout ce qui existe, le Seigneur et Maître, Celui qui soutient et qui donne, Celui qui juge et qui exécute le jugement. Sa volonté est la loi de la nature et la norme pour la conduite humaine. Sa volonté est le bien suprême.

Cette conscience de l’homme est un enchantement à la fois pour lui et pour le monde qui l’entoure. Elle est possessive, son objet étant à la fois impressionnant et attirant. Être habité par cette conscience, c’est vivre sa vie tout entière, jusqu’au secret le plus personnel, sous le regard de Dieu qui voit tout, sous les normes de Sa volonté divine qui concerne toutes les choses de la vie, et sous l’ombre d’un jugement imminent qui sera rendu selon une échelle de justice absolue. Il ne peut y avoir d’autodiscipline plus parfaite et d’auto-motivation plus efficace. ❞ 3

❝ En bref, telle est l’essence de la sharî’ah, de la culture et de la civilisation. Les musulmans l’ont appelé al-tawhîd, qui veut dire les trois unités que sont l’unité de Dieu, de la vérité et de la vie. C’est le fondement de leur représentation de la réalité, de leur façon commune de penser, d’agir et d’espérer. C’est seulement à la lumière du tawhîd que la question ‘’Qu’est-ce que l’homme doit faire ?’’ peut trouver sa réponse ❞. 4

En conclusion, l’injustice se trouve dans la vision des choses avant même qu’elle ne manifeste comme une réalité dans les choses. L’humanisme en tant que vision de l’homme et de sa valeur, peut être une source d’injustice contre « les autres », les « différents » ou les « inférieurs » et contre la nature.  

L’islam est un humanisme plus juste car il valorise l’homme sans le dévaloriser ni le diviniser ; car il et le responsabilise vis-à-vis de Dieu et de Sa création sans lui prêter un pouvoir absolu ni en faire le jouet impuissant du « destin » ; car il valorise la raison sans la mépriser ni la rendre infaillible, et sans la séparer du sens de l’éthique ; car il valorise la nature comme une créature de Dieu, sans la mépriser et sans la diviniser ; car la seule différence qu’il reconnaît comme légitime et qu’il valorise entre les gens, c’est l’effort que chacun peut faire pour développer une connaissance plus juste du monde, pour s’améliorer soi-même et rendre son monde meilleur. 

Notes

  1.  Radhakrishnan, Indian Philosophy, p. 443.
  2. Al-Fârûqî, Ismâ’ïl Râjî (1982), Al-Tawhîd. Its implications for Thought and Life. International Institute of Islamic Thought, Virginia, USA, p.64.
  3. Al-Fârûqî, Ismâ’ïl Râjî (1982), Al-Tawhîd. Its implications for Thought and Life. International Institute of Islamic Thought, Virginia, USA, p.64-65.
  4. Al-Fârûqî, Ismâ’ïl Râjî (1982), Al-Tawhîd. Its implications for Thought and Life. International Institute of Islamic Thought, Virginia, USA, p.65.

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