Changer le savoir universitaire pour changer le monde


Tout le monde s’accorde à dire que le changement passe surtout par l’éducation. L’éducation est le moyen de changer et de former un nouveau type de personne et de société.

En ce sens, la mission de l’université et des structures de formation est de former un type de personne et de société.

En occident, l’université a pour mission de former des personnes et des sociétés capables de maîtriser des savoirs pour développer leur pouvoir sur la nature et sur le reste du monde. A l’échelle internationale, la mission de l’université, des écoles de commerce, des écoles d’ingénieurs et des autres structures de formation, a été d’occidentaliser les personnes et les sociétés non-occidentales. Ainsi, la connaissance occidentale est une forme d’empire ou d’emprise sur le monde[1].

En fait, l’idée de Protagoras selon laquelle « L’homme est la mesure de toutes choses » résume l’idée humaniste laïque qui ne se base plus sur Dieu mais uniquement sur l’homme, pour définir la vérité, le bien et le juste. Mais cette idée a elle-même évolué : désormais « L’homme occidental est la mesure de toutes choses ». Cette idée va se traduire par l’eurocentrisme même dans la façon de faire de la science et d’enseigner à l’université.

En ce sens, par exemple, la conception occidentale linéaire et évolutionniste de l’histoire et du progrès humain ne tolère aucune notion dissidente ou contestataire de la part des autres, sans que ces notions soient soit rejetées comme réactionnaires, anti-modernes, traditionnelles, radicales…, soit conditionnées dans un langage et des catégories acceptables pour les vues et les intérêts dominants du centre. Les conceptions non occidentales de la vérité et de la réalité, ainsi que leurs formes et perspectives de connaissance et de développement humain, sont considérées comme locales et particulières, et donc dépourvues d’universalité[2].

La colonisation du monde est donc intimement liée à la vision euro-centrique du monde et de la connaissance. La « mondialisation » est une forme de colonisation du monde par l’occident. C’est une forme de conversion forcée des non-occidentaux à la « religion » matérialiste de l’occident, sans la liberté et le pouvoir de l’occidental :

« La mondialisation européenne a commencé avec les voyages de “découverte” à la fin du 15e siècle. Elle a été suivie par l’impérialisme, qui se caractérisait par la conquête et le contrôle politique direct depuis la métropole européenne. A partir du 17e siècle, cet impérialisme a été suivi par la colonisation – avec l’établissement de communautés d’immigrants dans les territoires colonisés, imitant la métropole, et soutenu par l’esclavage et le travail sous contrat – aboutissant au colonialisme – une condition qui fait référence à la soumission systématique des peuples colonisés »[3].

En mondialisant ses sciences, ses universités et ses écoles, l’occident mondialise aussi l’idée qu’il est supérieur dans toute l’organisation politique, économique, culturelle, religieuse, scientifique et sociale, l’occident diffuse également sa domination sur les autres. Plus encore, l’occident mondialise non seulement ses solutions, ses connaissances et ses techniques, ses institutions et son mode de vie, mais aussi ses crises. On le voit bien : la crise écologique est d’abord le résultat du nouvel ordre industriel et économique instauré par l’occident. Et face à la crise écologique que nous traversons, il ne suffit pas d’avoir de bons sentiments et de bonnes intentions envers la nature. Car ce sont les savoirs et les modes de pensée appris à l’université, dans les écoles d’ingénieur et de commerce, dans les laboratoires de recherche, dans les institutions et les grandes entreprises, qui conduisent la relation Homme-nature vers la destruction.

Pour changer le monde, on doit donc changer l’université, le lieu de production et de diffusion de la connaissance. Et pour changer l’université, on doit changer la vision du monde qui la gouverne. La vision du monde est une vision de la relation entre l’Homme, Dieu et la nature. Elle prend sa source dans une religion ou une philosophie de vie, ainsi que dans des circonstances socio-historiques qui structurent la façon de voir sa place et son rôle dans le monde.

Pour former un nouveau type de personne et de société, l’éducation consiste à exprimer une nouvelle vision du monde à travers le contenu, les méthodes d’éducation et les critères d’évaluation.

En occident, dans le monde musulman, en Asie, en Inde et en Amérique latine notamment, on plaide de plus en plus pour la désoccidentalisation, la décolonisation et l’indigénisation du cadre de connaissances.

En effet, en occident par exemple, de puissantes tendances critiques se développent dans les départements et les laboratoires universitaires, en sociologie, en philosophie, en psychologie, en anthropologie, en sciences politiques, en sciences de la nature, en écologie, en sciences de l’ingénieur, etc. Il y a des disciplines et des théories beaucoup plus avancées dans la vision d’un monde plus critique et plus inclusif : l’écologie, la systémique, la pensée complexe, l’astrophysique et l’éthique…

Ces tendances critiques occidentales sont vitales pour qui veut mieux comprendre le monde moderne et le changer. Mais malheureusement, ce ne sont pas ces tendances critiques occidentales que l’on mondialise mais plutôt le courant conservateur libéral dominant.

En tant que courant intellectuel et civilisationnel, l’islam doit participer au développement d’une pensée plus juste sur le monde. Il doit participer au projet de désoccidentalisation de la connaissance et de réorganisation à partir d’une vision islamique universelle du monde et du savoir. Mais le projet de changer l’université moderne ne risque-t-il pas de tomber dans une forme de relativisme et de nationalisme épistémologique ? Dans quelle mesure peut-il participer à produire une connaissance plus juste et plus universelle, au service de la famille humaine et de la nature ?

Pour aller plus loin…

L’Appel à déserter le capitalisme – Remise des diplômes Agro Paris Tech 2022 : https://youtu.be/SUOVOC2Kd50

Le documentaire Alphabet, de Erwin Wagenhofer, sur l’éducation dans le monde : https://fr.wikipedia.org/wiki/Alphabet_(film)


[1] Cf. Ninay Lal, Empires of Knowledge, Introduction and Chap 1; See also Syed Farid Alatas, Alternative Discourses in Asian Social Sciences: Responses to Eurocentrism (New Delhi: Sage Publications, 2006).
[2] Wan Mohd Nor Wan Daud (2013), Islamization Of Contemporary Knowledge And The Role Of The University In The Context Of De-Westernization And Decolonization, Universiti Teknologi Malaysia, p. 11-12.
[3] Peter Cox, “Globalization of What? Power, Knowledge and Neo-Colonialism”. Paper for Implications for Globalisation: Present Imperfect, Future Tense. 17-19 December 2003. Annual Conference. Department of Social and Communication Studies, University College Chester. P. 5. Downloaded 6/14/2005); also Wan Mohd Nor Wan Daud, “Dewesternisation and Islamisation: The Epistemic Framework and Final Purpose”. In N. Omar, W. Che Dan, Jason S. Ganesan and R. Talif, eds. Critical Perspectives on Literature and Culture in the New World Order (Newcastle Upon Tyne: Cambridge Scholars Publishing, 2010), pp. 1-7.


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