Critique des approches « coraniste » et « salafi » de la Sunnah


Actuellement, il y a deux courants problématiques au sujet de la Sunnah : il y a d’une part ceux qui se nomment les « coranistes », et d’autre part, les « salafi ».

Critique de l’approche « coraniste » de la Sunnah

Les partisans du premier courant s’appellent eux-mêmes les « coranistes ». Ils disent suivre le Coran uniquement et rejeter la Sunnah. Ils se trompent eux-mêmes ou veulent tromper les musulmans. De quelle manière ?

Premièrement, ils se disent « coranistes » mais ce ne sont pas des « coranistes ». Ils ne suivent pas le Coran. Ils font du Coran un livre sans aucune application possible, sans signification utile pour la vie quotidienne. Ils ne cherchent pas à penser, à agir et à vivre selon la sagesse du Coran. Ils cherchent plutôt à esquiver les exigences qu’il contient et à le rendre obsolète. Tout est « herméneutique », « interprétation » sans conséquence pratique.

Par exemple, certains vont dire que al-ṣalāh, ce n’est pas la prière mais al-ṣilah, le lien avec Dieu. Ils se basent sur le fait que dans la langue arabe, il n’y a pas de voyelles et que l’on peut donc interpréter al-ṣalāh comme étant al-ṣilah. Ils ajoutent que l’on peut être en lien avec Dieu par la pensée, sans passer par la prière.

A travers ce genre d’interprétations, ils font de l’islam une religion floue, sans vision précise sur le monde, sans morale précise à concrétiser, sans culte précis à honorer au quotidien.

Deuxièmement, ils se disent « coranistes » en ce sens qu’ils rejettent la valeur de la Sunnah dans sa totalité, y compris ce qu’il y a d’authentique dans la Sunnah et qui est confirmé par le Coran. En fait, ils considèrent que tout est « Sunnah », même les faux ḥadīth, sans distinguer les différents degrés d’authenticité et le principe de non-contradiction avec le Coran, ceci pour rejeter la Sunnah authentique dans son ensemble. Ce faisant ils retirent aux musulmans toute une somme d’exemples et d’illustrations qui permettent de mieux comprendre comment l’islam peut être mis en pratique concrètement. Ils ne suivent pas la méthode du prophète Muhammad (paix sur lui) dans sa façon de suivre le Coran.

Revenons à l’exemple de la façon dont ils interprètent al-ṣalāh ou la prière.

Il est juste de dire que l’on peut être en lien avec Dieu – ṣilah – de plusieurs manières : par le dhikr, le tasbīḥ, la lecture du Coran, la méditation, la réflexion, etc. Mais la prière est bel bien un devoir que toute personnes convaincue de Dieu est invité à cultiver cinq fois par jour.

« Soyez constants dans la prière (al-ṣalāh), donnez la zakah, et inclinez-vous avec ceux qui s’inclinent ! »

وَأَقِيمُوا الصَّلَاةَ وَآتُوا الزَّكَاةَ وَارْكَعُوا مَعَ الرَّاكِعِينَ

Coran 2 : 43.

Le prophète nous montre comment accomplir la prière : il se tourne vers Dieu en formulant l’intention de Lui plaire, il fait ses ablutions rituelles, il se met debout, il s’oriente vers al-qiblah, il se couvre les parties intimes, il nettoie le lieu de prière et ensuite, il prie Dieu. Tous ces gestes sont la mise en pratique de l’ordre divin « Accomplissez la prière ».

Si Dieu avait demandé n’importe quelle forme de prière (sans contenu, sans forme et sans moment précis), l’être humain aurait mélangé ses passions, sa tradition, ses divinités avec la voie de Dieu l’Unique, dans sa façon de faire la prière.

Le prophète (paix sur lui) va dire :

« Faite la prière comme vous m’avez vu la faire »

صلوا كما رأيتموني أصلي

Ḥadīth Ṣahīh al-Bukhārī

En fait, derrière le discours « coraniste » se cache un discours moderniste qui pousse vers une « spiritualité » à la carte, sans contenu, sans devoirs et sans rituels. Le discours « coraniste » et moderniste critique la Sunnah en oubliant que pendant des siècles, les savants musulmans ont développé la science du ḥadīth qui est un ensemble de méthodes critiques des ḥadīths attribués au prophète, soit par la critique de qui les rapporte et de comment ils ont été mis par écrit (al-isnād), soit par la critique du contenu lui-même (al-matn). Autrement dit, la première critique systématique et scientifique de la Sunnah se trouve dans la science des ḥadīths et non pas dans les sciences historiques et humaines modernes.

En fait, la méthode critique « coraniste » et moderniste n’est pas scientifique mais politique. En effet, sa critique de la Sunnah n’est qu’un instrument au service d’un projet politique : couper les musulmans de leurs Textes fondateurs, accentuer les divisions et affaiblir leur attachement à l’islam. D’abord en créant une division entre le Coran et la Sunnah et ensuite, en délégitimant la Sunnah, et enfin, en délégitimant le Coran lui-même, au nom de « la science historique » et des « sciences humaines ». Le but est de faire taire la Sunnah et le Coran et de pousser les musulmans vers une « modernisation » qui agit comme un processus de soumission au conformisme politique, économique et culturel libéral.

Ainsi, la méthode critique « coraniste » et moderniste a besoin elle-même d’être critiquée. Elle a tendance à s’appuyer sur tout ḥadīth ou sur tout autre texte, même non-authentique, même infondé, pour légitimer la remise en cause de la Sunnah et du Coran. Autrement dit, dans une large mesure, elle ne fait que colporter des commérages qu’elle fait passer pour de la science.

Il est vrai qu’il existe des récits non-authentiques que l’on mélange avec la Sunnah. Mais il existe une Sunnah que l’on peut encore authentifier grâce à des méthodes rigoureuses et notamment grâce au principe de non-contradiction avec le Coran. Tout ce qui dans la Sunnah, est cohérent avec le Coran, est authentique, fait partie de la voie (al-dīn) que Dieu nous invite à suivre. Tout ce qui contredit le Coran doit être considéré comme non-authentique, comme ne faisant pas partie de la voie de Dieu.

Bref, le courant des « coranistes » est une imposture. Mais comment est-il apparu dans la civilisation islamique ?

Face à toute l’étendue et la variété des sciences et de la pensée islamique, il y a des intellectuels musulmans qui ont la flemme de prendre le temps de lire et de connaître ce patrimoine. Alors ils sortent sur la place publique et nous disent :

« Pas besoin du patrimoine intellectuel islamique ! C’est dépassé ! Je ne veux pas des uūl al-fiqh (philosophie du droit), des différentes écoles de pensée (al-madhāhib al-fiqhiyyah), des sciences du adīth, etc. ! Le Coran suffit ! ». 

Shaytān entre par toutes les portes possibles. Ici, il entre par une vérité, à savoir que le patrimoine intellectuel islamique et que même la Sunnah n’est pas infaillible : elle contient des erreurs. C’est juste. Pour autant, tout rejeter au lieu de faire le tri à la lumière de la sagesse du Coran, c’est aussi une erreur.

On a besoin de suivre l’exemple et la Sunnah du prophète (paix sur lui) comme une méthode d’application du Coran.

« Obéissez à Dieu, obéissez au prophète ! Mais si vous vous en détournez, sachez que le prophète n’a pour mission que de vous transmettre le Message en toute clarté »

وَأَطِيعُوا اللَّهَ وَأَطِيعُوا الرَّسُولَ ۚ فَإِن تَوَلَّيْتُمْ فَإِنَّمَا عَلَىٰ رَسُولِنَا الْبَلَاغُ الْمُبِينُ

Coran 64 : 12.

Si les « coranistes » étaient réellement coranistes, ils obéiraient à Dieu et à son prophète. Le Coran montre la voie (al-sharī’ah) et la méthode (al-minhāj). La Sunnah authentique montre comment la concrétiser dans la vie quotidienne. On peut retrouver le fondement de tout ḥadīth authentique ou de toute la Sunnah authentique dans le Coran, soit dans ses principes généraux soit dans ses explications détaillées.

Critique de l’approche « salafi » de la Sunnah

Le second courant se désigne par le terme « salafi ». Mais il n’est pas juste de les appeler « salafi ». Car les vrais « salaf al-ṣāliḥ » ou pieux prédécesseurs, ce sont les compagnons du prophète tels qu’Abū Bakr, Omar Ibn al-Khattâb, Ali Ibn Abī Ṭālib, etc. Ils font partie de la génération qui a reçu la Révélation. Prenons l’un des salaf al- ṣāliḥ, Abu Bakr par exemple. Quel était le défi qui l’obsédait ? Ce qui a animé toute sa vie, c’est la question du juste et de l’injuste, et la question de l’unité de la communauté de ceux qui ont adhéré à la voie de Dieu (ummah al-mu’minīn) dont il était le Calife. Contrairement à ceux qui se disent « salafi », il n’était pas obsédé par des détails. Il ne confondait pas la part d’universel et de particulier dans l’exemple du prophète. Jamais il n’a interpelé un musulman pour la taille de sa barbe. Il n’était pas littéraliste au point de passer à côté du sens et de la finalité d’un message du prophète. Par exemple, contrairement à ceux qui se disent « salafi » qui sont obsédé par le pantalon qui dépasse la cheville, il lui arrivait de porter un vêtement qui traîne par terre. Et il a continué à le faire parce qu’il avait compris que ce que le prophète interdisait, c’était l’orgueil dans sa façon de s’habiller et d’être en général, comme on peut le voir dans ce récit :

« Celui qui laisse traîner son habit (en dessous des chevilles) par orgueil, Dieu ne le regardera pas le Jour de la Résurrection ».

Abū Bakr dit alors : ‘’Une partie de mon vêtement se relâche (tombe (en dessous des chevilles) si je n’y fais pas constamment attention !’’

Le prophète répondit : ‘’Tu n’es pas de ceux qui le font par orgueil’’ »

Ḥadīth rapporté par Ṣahīh al-Bukhārī.

Prenons Omar. Quel était son défi ? Des millions de gens se sont ouverts à l’islam. Il y a une grande diversité de cultures devenues musulmanes. Comment leur permettre de comprendre l’islam de façon juste ? Les grands chantiers intellectuels sont lancés : on traduit le Coran dans une diversité de langues, on invente les sciences du ḥadīth pour éviter qu’on ne diffuse des histoires fausses sur le prophète, etc.

L’esprit des salaf al-ṣāliḥ, c’est un esprit soucieux de bien comprendre la Révélation comme source de connaissances et de sagesse universelle pour faire face aux défis de son temps.

Quant à ceux qui se disent « salafi », ils ne cherchent à relever aucun défi : ils sont obsédés par des détails souvent inutiles. En fait, nous devrions les nommer « les passéistes » plutôt que « les salafi ». Car contrairement aux « salaf al-ṣāliḥ » ou à la génération qui était témoin de la Révélation, les passéistes donnent la priorité à la Sunnah au sens large (sans appliquer le principe de non-contradiction avec le Coran, sans distinguer ce qui est universel et ce qui est particulier dans le comportement du prophète…) et au patrimoine intellectuel musulman sur le Coran.

L’approche qui se dit « salafi » commet trois grandes erreurs. Premièrement, elle ne cherche pas à comprendre un ḥadīth en le reliant avec l’ensemble des ḥadīths authentiques sur un thème donné et avec le Coran. En ce sens, elle ne cherche pas à comprendre un ḥadīth comme une explication pratique d’un principe coranique avec lequel elle doit le relier. En gros, « Si un ḥadīth dit une chose, alors nous devons le suivre », sans vérifier s’il est invalidé ou confirmé par une idée du Coran.

Deuxièmement, elle considère que tout est « Sunnah », que tout est un devoir que le musulman doit mettre en pratique, y compris les ḥadīth qui racontent des situations où le prophète a agi en tant qu’être humain dont les dimensions personnelles et culturelles n’ont pas vocation à servir d’exemple universel. En effet, Dieu a envoyé à la famille humaine des prophètes pour lui enseigner la sagesse et la voie de la droiture, et non pas pour lui enseigner de manger des concombres plutôt que des lentilles, de s’habiller d’un qamīs plutôt que d’un autre vêtement, d’utiliser un siwāk plutôt qu’une autre méthode pour se nettoyer les dents, d’utiliser telle ou telle technique agricole ou médicale… Dieu a communiqué à ses prophètes un Message universel : jouissez de toutes les choses que Dieu a permises parce qu’elles sont bonnes ; soyez reconnaissants envers Dieu ; faites le bien et résistez à toute forme d’injustice sur terre.

Dans l’univers du ḥalāl (permis), du ṭayyib (bon) et du khayr (bien) que Dieu a mis à la disposition de la famille humaine, le dernier prophète n’a utilisé qu’une infime partie en consommant des concombres, en s’habillant d’un qamīs et en utilisant le siwāk ou telle ou telle technique agricole ou médicale… Il n’y a pas à s’ajouter des interdits et des obligations là où Dieu a invité à jouir de sa liberté dans la mesure de ce qui est Bien et Juste.

Troisièmement, elle ne sait pas appliquer la bonne hiérarchie des sources. En principe, tout le monde s’accorde à dire que si un ḥadīth, un récit populaire ou le discours d’une personnalité musulmane contredit le Coran, alors il n’est pas ṣaḥīḥ, authentique ou juste. Les savants musulmans s’accordent sur la non-contraction avec le Coran comme critère pour filtrer ce qui est authentique et ce qui ne l’est pas. Mais dans les faits, ce principe de non-contradiction n’est pas bien appliqué. L’approche qui se dit « salafi » se trompe car dans les faits, elle ne sait pas raisonner en appliquant la bonne hiérarchie des sources de la connaissance et le principe de non-contradiction de la Sunnah avec le Coran. Par conséquent, elle ne sait pas comment traiter les contradictions entre les ḥadīths et le Coran.

Souvent, elle confond la Sunnah authentique avec des récits passés et les avis de tel ou tel savant. Dans les faits, elle se trompe car elle fait du Coran une source secondaire, et des récits et des discours passés sa source première pour éclairer des questions telles que l’obligation absolue d’obéir à l’autorité, l’interdiction pour la femme de prendre une responsabilité politique, le ḥalāl et le ḥarām (le permis et l’interdit), les signes de la fin des temps, le pouvoir des jinns de posséder une personne, etc. En somme, dans les faits, l’approche « salafi » néglige le Coran et suit d’abord les récits et les discours passés.

Sortir du conformisme intellectuel qui a pris le nom de « coraniste » et de « salafi »

Les idées qui animent l’approche qui se dit « coraniste » et « salafi » sont le signe d’une grande confusion intellectuelle. En réalité, le sujet est clair et n’a pas besoin de polémique. Les polémiques qui circulent au sujet de l’authenticité des ḥadīths sont dues au fait que nous ne traitons pas le sujet selon une méthode rigoureuse.

Nous avons d’un côté ceux qui prétendent être des « coranistes » qui rejettent totalement la Sunnah et qui, dans les faits, ne se basent pas beaucoup plus sur le Coran. Ils ne sont pas plus rationalistes que les autres courants musulmans. Ils ne pêchent pas parce qu’ils exercent leur raison, au lieu simplement d’avoir la foi. Bien au contraire, ils pêchent parce qu’ils ne veulent pas tenir compte de la méthode scientifique utilisée dans la science du ḥadīth qui permet, pour chaque ḥadīth, d’évaluer s’il provient effectivement du prophète (paix sur lui), sur la base d’une enquête sur la moralité des transmetteurs et sur la cohérence du contenu exprimé par rapport à l’ensemble des ḥadīths authentiques et par rapport au Coran.

Ceux qui se disent « coranistes » se rapprochent largement du courant moderniste qui rejette toute source de connaissances et de sagesse en dehors de la raison et de la mythologie grecque devenue sa source première.

Or leur erreur, c’est justement un manque d’exercice de la raison selon une méthode scientifique. C’est le fait d’utiliser des ḥadīths faibles sur des sujets importants, et de faire comme s’ils étaient authentiques, pour discréditer l’ensemble de la Sunnah.

Ils ne retiennent finalement du Coran que les passages sur « la spiritualité » et non pas la connaissance sur le monde et la sagesse pour éclairer la vie quotidienne individuelle et collective.

Et de l’autre côté, nous avons les passéistes qui se disent « salafi » qui se réfèrent à tout ḥadīth qu’ils trouvent cité dans tel ou tel livre classique sans en vérifier l’authenticité, sans distinguer la part d’universel et la part de particulier dans la vie du prophète, et sans le relier avec la sagesse du Coran.

Ces deux courants, à la différence des savants, ne savent pas suivre une méthode pour évaluer la valeur d’un ḥadīth sur la base de qui le transmet et de son contenu. Ils ne savent pas non plus distinguer la part d’universel et la part de particulier dans la Sunnah. Ils ne savent pas que l’évaluation critique d’un ḥadīth est une science islamique qui permet de distinguer la Sunnah authentique qui a toute sa valeur, des ḥadīths non-authentiques qui créent beaucoup de confusion dans l’esprit des musulmans.

Ils ne savent pas que l’évaluation critique et méthodique d’un ḥadīth n’est pas le rejet de la Sunnah mais bien au contraire, sa purification et préservation, grâce au Coran.

Le Coran est un Livre dont Dieu se porte garant, qu’Il s’engage à préserver. Quant à la Sunnah, elle a aussi été préservée, grâce au Coran qui permet encore de distinguer la Sunnah authentique des informations et récits douteux qui s’y sont mélangés. A chaque fois que nous nous trouvons face à un ḥadīth ṣaḥīḥ, nous pouvons nous interroger ainsi : quel est son fondement dans le Coran ?

L’essentiel de ce qu’a enseigné le prophète, dans la Sunnah, peut être déduit d’un concept général ou d’un cas pratique exposé dans le Coran. Nous pouvons déduire la Sunnah authentique du Coran. La vie du prophète est détaillée dans le Coran, de même que la vie des prophètes qui l’ont précédé. Pourquoi donc allons-nous baser notre compréhension de l’islam et des prophètes sur des informations et des discours moins fiables ?

Aujourd’hui, nous connaissons avec précision la valeur – ḍaʿīf (faible) ou ṣaḥīḥ (authentique) – de chaque ḥadīth. Dans le cas où il y a des divergences, la référence au Coran reste ce qu’il y a de plus sûr. La majorité des divergences sur l’authenticité des ḥadīths peuvent être traitées en les évaluant par rapport à leur cohérence avec le Coran. Si nous abordions la problématique du rapport entre le Coran et la Sunnah de façon dépassionnée et avec méthode, nous nous rendrions compte alors que nous pouvons converger sur l’authenticité des ḥadīths dans 95% des cas et qu’il reste 5% de divergences acceptables.

Mais nous sommes poussés à l’erreur par des acteurs politiques qui encouragent la diffusion des récits les plus erronés, en finançant, grâce aux pétrodollars, les polémiques présentes dans le patrimoine islamique. Ils encouragent la diffusion d’un conflit intellectuel entre deux positions erronées qui nous empêchent de profiter de la Sunnah authentique.

Du temps des enfants d’Israël, il existait le même conflit intellectuel. Ils avaient perdu la Torah originelle et mélangeaient des textes erronés avec des fragments qui étaient authentiques. Au milieu de ce conflit est né un courant qu’on appelait les « qurraʾūn » (les saducéens). Sa position consistait à rejeter le Talmud et les autres textes religieux pour ne considérer que la Torah, selon une compréhension littérale, pour être sûr de ne pas dévier.

Les « coranistes » d’aujourd’hui ressemblent aux qurraʾūn des enfants d’Israël. Face à la multiplicité des sciences, des avis et des divergences, ils disent préférer s’en tenir au Coran.

Mais en fait, les « coranistes », tout comme les « salafi », ne permettent pas de comprendre la sagesse du Coran ni de suivre la façon dont le prophète l’a concrétisée dans sa façon de vivre, d’agir et de penser. Ils ne permettent pas de construire une ummah et une civilisation éclairées.

La ummah ne doit pas se couper de la Sunnah. Elle doit prendre le Coran comme référence supérieure – al-Muhaymin – pour distinguer la Sunnah authentique des récits étrangers provenant de la culture populaire et d’ailleurs. Le Coran a justement pour fonction d’être le Livre qui confirme – al-Muṣaddiq – et le Livre qui prédomine tout autre livre – al-Muhaymin –, pour enseigner la sagesse universelle.

Nous devons sortir de l’imitation aveugle des imāms et des intellectuels passés ou présents, passéistes ou modernistes.

Les savants musulmans ont réussi à distinguer la Sunnah selon trois parties. Tout d’abord, les ḥadīths qui ont un fondement coranique. Il n’y a pas de débat à leur sujet. Ensuite, il y a les ḥadīths qui sont cohérents avec un principe général du Coran. Ceux-là également ne prêtent pas à débat. Enfin, il y a les ḥadīths qui contredisent le Coran, même si les personnes qui en sont les témoins sont honnêtes et sont plusieurs (leur chaîne de transmission est bonne).

Nous n’avons pas besoin des « coranistes » qui rejettent la Sunnah authentique et qui finissent par se détourner du Coran lui-même. Nous n’avons pas besoin non plus des « salafi » qui font « feu de tout bois », qui utilisent les ḥadīths comme s’ils faisaient tous partie de la Sunnah authentique, sans les évaluer de façon critique.

Des savants très différents tels que l’imām Ahmad, shaykh ibn Hazm, al-Nawawī, al-Qurtubī, ibn al-Qayyim, ibn Hajar, ibn Taymiyyah, al-Ṣuyūṭī, al-Dhahabī, al-Zarqashī, et plus récemment, Muhammad al-Ghazālī, et bien d’autres, ont remis en question l’authenticité de différents ḥadīths tels que ceux qui racontent les signes de la fin des temps, le Mahdi et l’Antéchrist, les mariages du prophète, l’ensorcellement dont il aurait été victime, la possession par les jinns, le jihād, le devoir d’obéissance absolue aux dirigeants politiques, la conception du Destin, etc.

Accuser les savants qui travaillent sur une meilleure authentification des ḥadīths pour mieux comprendre et suivre l’exemple du prophète, et les sortir de l’islam est absurde. Les accuser ainsi n’a rien à voir ni avec la Sunnah ni avec le Coran. L’islam forme au raisonnement argumenté qui nécessite qu’on expose la preuve, qu’on vérifie les sources, qu’on débatte avec méthode et respect.

D’ailleurs, l’université d’al-Azhar a une tradition exemplaire de débats ouverts entre savants sur plein de sujets, sans que personne n’en vienne à accuser l’autre de « rejeter la Sunnah ».

Mais aujourd’hui, les musulmans ont tendance à faire de la Sunnah un moyen de conformisme et d’imitation aveugle (taqlīd), sans bien distinguer ce qui est authentique de ce qui ne l’est pas.

La science des uṣūl al-Fiqh (les Fondements ou la Philosophie du droit) définit le taqlīd comme le fait d’accepter la parole de quelqu’un sans preuve, sans argument, sans fondement. Dans le Coran, Dieu enseigne à l’être humain le devoir de ne jamais suivre un discours qui n’est pas soutenu par des témoins, des preuves, des arguments justes… Or, la plupart des gens ne font que suivre les discours douteux, les rumeurs, les polémiques sans fondement.

Dieu n’accepte pas une personne qui adhère à l’islam par croyance, de façon incertaine, par imitation aveugle, sans avoir basé sa conviction sur une réflexion critique et sage. Si Dieu acceptait la foi d’un musulman qui agit par imitation aveugle, alors les croyants de toutes les religions devraient être pardonnés s’ils n’ont fait que suivre leur tradition sans se poser de questions.

Le Jour du Jugement, certains, pour justifier leurs erreurs, rappelleront qu’ils n’ont fait que suivre leur tradition. Dieu leur répondra et nous répond à nous tous aujourd’hui, nous qui sommes tentés d’invoquer la même excuse, que chacun est responsable individuellement, chacun doit exercer sa raison avec méthode, en suivant des preuves et non pas les on-dit :

« Les polythéistes diront : ‘’Si Dieu l’avait voulu, ni nous ni nos ancêtres ne Lui aurions associé aucune divinité, et nous n’aurions rien déclaré interdit (de ce que Dieu avait permis)’’. C’est là l’excuse qu’invoquaient les négateurs qui les ont précédés et qui leur a valu d’encourir Notre colère. Demande-leur : ‘’Avez-vous quelque science à nous produire ? En vérité, vous ne suivez que des conjectures et ne faites que mentir’’ »

سَيَقُولُ الَّذِينَ أَشْرَكُوا لَوْ شَاءَ اللَّهُ مَا أَشْرَكْنَا وَلَا آبَاؤُنَا وَلَا حَرَّمْنَا مِن شَيْءٍ ۚ كَذَٰلِكَ كَذَّبَ الَّذِينَ مِن قَبْلِهِمْ حَتَّىٰ ذَاقُوا بَأْسَنَا ۗ قُلْ هَلْ عِندَكُم مِّنْ عِلْمٍ فَتُخْرِجُوهُ لَنَا ۖ إِن تَتَّبِعُونَ إِلَّا الظَّنَّ وَإِنْ أَنتُمْ إِلَّا تَخْرُصُونَ

Coran 6 : 148

Avant d’adhérer à l’islam, Dieu invite l’être humain à observer le monde, à se laisser convaincre par les signes clairs visibles dans la création et dans la Révélation. La réflexion sous ses différentes formes – al-tadabbur (la méditation), al-tadhakkur (le rappel), al-tafakkur (la pensée), etc. –, sont des obligations religieuses.

Dans les différentes sociétés humaines, les savants ont tendance à construire un pouvoir sur les gens. Grâce à leurs connaissances, ils dominent, ils diffusent ce qui les arrange et ils gardent secret ce qui peut déranger leurs intérêts. C’est ainsi que les religieux des différentes religions ont falsifié la voie originelle révélée par Dieu.

Le Coran expose la connaissance du monde, du visible et de l’invisible, de Dieu et des prophètes à l’ensemble de l’humanité. Le musulman lit des sourates du Coran à l’occasion des cinq prières quotidiennes. La récitation quotidienne du Coran insuffle une vision de la vie, de la vérité et de la connaissance, que l’on doit distinguer des croyances populaires, de la magie, de la superstition, de la rumeur, des discours religieux savants et de la pseudo science. 

Toute personne, lorsqu’elle a besoin de coudre un vêtement ou de construire une maison, a besoin de demander conseil autour d’elle, de comparer et de vérifier ce qu’on lui propose. De même lorsqu’elle est malade, elle a besoin de demander conseil, de comparer plusieurs diagnostics, de vérifier quels sont les meilleurs traitements, etc. Pourquoi donc, lorsqu’il s’agit de la religion, a-t-on tendance à recevoir passivement les idées qui circulent, sans exercer sa raison et sans les vérifier à la lumière du Coran ?

Une fois, une dame venait de se convertir et elle est allée interroger un homme habillé de vêtements « religieux ». Il n’a pas su répondre à sa question et elle s’étonne : « Comment se fait-il que vous avez une ‘imāmah (un turban) sur la tête mais vous ne savez pas me répondre ». Alors il retire sa ‘imāmah et la pose sur la tête de cette dame en lui disant : « Maintenant que vous avez une ‘imāmah sur la tête, est-ce que vous connaissez la réponse à votre question ? ». Ainsi, il lui a montré que l’habit ou que les apparences ne font pas le savoir.

Le musulman a soif de connaître mais il a souvent un rapport magique à la connaissance. N’importe quel imposteur qui mettrait les habits « religieux » pourrait se faire passer pour un savant, tellement on a soif de savoir mais on n’a pas envie de faire l’effort nécessaire pour l’acquérir.

On a posé la question à ibn Hazm, grand savant andalous du 5e siècle de l’Hégire : peut-on exiger d’une personne ordinaire – qui n’a pas une grande culture intellectuelle voire qui ne sait pas lire –, qu’elle exerce sa raison critique, qu’elle vérifie le fondement des discours qu’elle entend de la part des personnalités religieuses… ?

Il a répondu que même les personnes ordinaires devaient faire l’effort d’exercer leur raison critique pour savoir lequel parmi les discours qu’elles entendent, est plus juste que les autres. Car les discours que l’on peut entendre sur la place publique ne se valent pas : on peut avoir des savants imposteurs qui vendent leur savoir en échange d’une position sociale ; ou des savants justes qu’on entend très peu car on fait beaucoup de bruit pour les rendre invisibles…

Concrètement, par exemple, quand on va acheter un livre dans une librairie, on doit enquêter : qui est cet auteur ? Quelle est sa spécialité ? Cet orateur auprès de qui on va chercher des conseils : quelle est son expérience ? Est-il digne de confiance ? On doit demander à des personnes plus savantes ce qu’elles en pensent…

On doit aider les personnes ordinaires à élever leur niveau intellectuel pour qu’elles soient capables de distinguer un discours juste qui leur veut du bien d’un discours injuste qui les pousse vers le mal.

Le prophète Muhammad faisait partie d’une ummah arabe qui suivait la tradition, la magie, la superstition et les discours des religieux… Il l’a formée et l’a réformée. La mosquée du prophète était un lieu de prière et d’éducation. Après la prière de Fajr (le matin, avant le lever du soleil), il y avait un cours. Après les différentes prières, on pouvait assister à un cours, apprendre la sagesse du Coran, poser des questions, discuter… En dehors de la mosquée, dans la ville, le prophète continuait à transmettre la sagesse à travers plein de situations qui posaient question : comment faire qu’un divorce se passe bien ? Comment appliquer la justice dans un contrat commercial ? Comment trancher un conflit entre deux parties… ?

Grâce à cette éducation, la ummah se base de plus en plus sur le Livre révélé et sur le Livre de la création, sur les arguments rationnels, sur les preuves et sur les faits.

Aujourd’hui, la ummah islamique est affectée par la maladie du conformisme intellectuel. Elle suit n’importe quel discours à la mode. On a fermé la mosquée et on l’a réduite à être un lieu de prière. Les personnes ordinaires n’ont plus l’occasion, grâce au travail éducatif de la mosquée, d’élever leur niveau intellectuel, spirituel et moral.

On doit redonner à la mosquée son rôle d’éducation culturelle et intellectuelle, de réforme des mauvaises habitudes et d’amélioration des comportements individuels.

On ne doit pas comprendre la Sunnah comme une somme de ḥadīths isolés les uns des autres. Les ḥadīths, sur un même sujet, doivent être compris ensemble pour indiquer une direction générale. En les rapprochant de leur fondement coranique, on découvre alors une sagesse globale. La Sunnah ne peut pas exister sans le Coran. Le prophète devient prophète à partir de la Révélation. La Révélation montre le chemin à suivre. La Sunnah est la méthode de mise en pratique du Coran dans la vie quotidienne. L’esprit musulman a besoin de se renouveler grâce au dialogue avec le Coran, avec la Sunnah authentique et avec la réalité du monde qui nous entoure.


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