DE LA CRITIQUE NORMALE A LA CRITIQUE DECONSTRUCTIVE


 Ce texte reprend de façon synthétique les idées de Waël Hallaq exposées en arabe, lors d’une conférence.

Faut-il simplement « s’ouvrir » à la modernité ?

La ummah islamique, depuis la fin du 19e siècle, a été fascinée et obsédée par l’Occident, comme si l’Occident était un monde magique auquel nous aspirons à appartenir sans questionnement ni enquête. Depuis cette époque, l’Occident est devenu un objet d’admiration, comme si tout ce qu’il fait, pense et produit est bon et naturel.

Malgré l’opposition à l’entreprise coloniale de l’occident, la ummah islamique était fascinée par la civilisation occidentale. Cette fascination est d’ailleurs le signe d’une ouverture intellectuelle. Cette ouverture est une vraie tradition dans la civilisation islamique qui, depuis plus de mille ans, a étudié et examiné le patrimoine intellectuel de l’humanité, et a traduit les livres grecs et du monde entier en arabe.

Mais l’ouverture intellectuelle, comme toute autre valeur, a des limites au-delà desquelles elle se pervertit en conformisme intellectuel. 

Depuis le milieu du 19e siècle, et après la fin de la seconde guerre mondiale et la crise politique, sociale et de détérioration psychologique qui en ont suivi, nous entrons dans une nouvelle réalité. En effet, la réalité des impacts négatifs de la modernité occidentale est de plus en plus manifeste.

La liste est longue des phénomènes de destruction et de corruption qui abîment la terre mais aussi nos corps et nos âmes. Prenons quelques exemples.

On réduit le concept de la vie à des significations étroites, à la vie du corps et de la matière, de sorte que l’homme moderne est devenu une coquille précieuse mais sans substance, sans âme et sans cœur.

On continue de sacraliser l’Occident et ses valeurs, malgré la conscience que la modernité est dans un état de faillite complète : tel est le paradoxe que Waël Hallaq observe.

On a perdu la capacité à penser de manière indépendante, voire on est plongé dans une paralysie totale. On est fasciné et on se laisse tromper par le matérialisme. On est devenu à l’image d’un troupeau de bétail qui se laisse conduire là où veut son propriétaire.

Observer cela, ce n’est pas encourager l’isolement ou la fermeture intellectuelle. L’échange intellectuel est une nécessité vitale pour toute société, culture et civilisation. Toutes les sociétés humaines ont bénéficié des autres. L’influence mutuelle est une loi universelle de la vie humaine et civilisationnelle que l’on a vu s’appliquer aussi bien aux pharaons, aux Grecs, aux Romains, au judaïsme, au bouddhisme, à l’Islam, qu’à l’Europe centrale et moderne…

Mais l’emprunt ou l’échange avec l’autre peut être analysé de deux manières totalement différentes :

  • Soit il s’agit d’un échange qui se fait entre des acteurs d’égale dignité, forts et indépendants ;
  • Soit il s’agit d’un échange qui se fait entre des acteurs inégaux où l’un domine et l’autre est faible et est soumis à l’humiliation.

Pour Waël Hallaq, aujourd’hui, nous sommes dans des échanges culturels du second type : ces échanges sont en fait synonymes de conformisme aveugle voire d’esclavage intellectuel.

La question que l’on se pose habituellement est quelle est notre position et notre attitude envers la modernité ? Comme si la modernité était une entité extérieure à nous, comme si nous pouvons nous isoler ou nous en éloigner à notre guise. 

Or en fait, aujourd’hui, nous sommes tous modernes. La question n’est pas de savoir si nous sommes pour ou contre, ou comment s’engager dans la modernité : nous sommes dedans, au cœur de la modernité. Si nous souffrons d’innombrables problèmes, ce n’est pas parce que nous ne sommes pas encore assez modernes ou parce que nous avons échoué à nous engager dans la modernité. 

Nous sommes déjà la modernité 

Croire que la solution à nos problèmes, c’est plus de modernité, c’est l’erreur même. Si nous nous plaignons des crises et des problèmes qui nous submergent, c’est parce que nous vivons de toute notre âme dans la modernité ; c’est parce que nos tensions et conflits entre nous-mêmes et le monde ne sont rien d’autre qu’un phénomène normal de la modernité :

فالسؤال إذا هو إلى أين نذهب من هنا؟ والسؤال الأهم من ذلك هو: كيف نذهب من هنا؟ كيف نذهب من هنا ونحن كجميع شعوب العالم.

« La question est alors : ‘’Où allons-nous à partir d’ici ?’’ Mais la question la plus cruciale est plutôt : ‘’Comment allons-nous partir de là ? ‘’Comment allons-nous partir de là alors que nous sommes comme tous les peuples du monde ?’’ ». 

En effet, comment aller au-delà modernité qui a produit des crises mondiales dues à la destruction de l’environnement et de la nature, à la destruction de la famille et de la société, à la destruction des relations humaines et sociales, à la destruction de l’âme humaine et à la propagation des maladies « mentales », et à l’augmentation de la violence, de la guerre et du meurtre ? Comment aller au-delà modernité qui n’a pas apporté plus de justice dans le monde, qui a, au contraire, mondialisé des entreprises carnivores qui ne font qu’exploiter et détruire. La liste est longue de toutes les destructions produites par la modernité. 

Il est historiquement absurde de ne pas voir que l’état du monde actuel est le produit de l’esprit et de la main de l’Europe. Et en se mondialisant, l’esprit et la main de l’Europe ont conduit les autres sociétés à imiter et à reproduire les mêmes problèmes. 

L’Occident, qui est le créateur de la modernité, essaie toujours de sortir des situations difficiles qu’il a créées par lui-même, d’abord pour lui-même. Et il est étonnant que les autres ne font que se poser la question absurde et stérile de savoir comment s’engager dans la modernité.  

L’homme libre est celui qui s’est frayé un chemin par lui-même. Et celui qui suit sans fiqh (sans compréhension) et sans réflexion, n’est qu’un esclave qui s’ajoute à la longue queue des suiveurs. La question que l’on doit se poser, ce n’est donc pas cette question stérile, mais comment sortir de la modernité, comment penser et vivre au-delà de la modernité, vers une ère meilleure et plus humaine ? Comment peut-on faire son propre chemin alors qu’on est loin de cet au-delà de la modernité ? 

Nous nous trouvons maintenant à un carrefour important. L’histoire ancienne de notre civilisation est derrière nous, et l’avenir nous est ouvert. Nous nous trouvons maintenant à la fin de notre civilisation et au début d’une nouvelle ère. Nous sommes riches de notre passé et ouverts sur notre avenir. Mais nous sommes maintenant dans un moment difficile, non seulement parce que nous sommes noyés par les problèmes, et principalement politiques, mais aussi parce que nous traversons tous le même moment difficile. En effet, nous sommes liés dans la même crise mondiale. Nous devons alors oser ouvrir de nouvelles portes et oser nous entraider dans cette sortie de crise. 

La critique normale ne produit pas de vrai changement 

Alors par où commencer ? Quelle voie, quelle méthode suivre pour aller au-delà de la modernité et des crises qu’elle a enfantées ? 

Nous devons commencer et suivre la voie de la critique. La critique comme voie et comme méthode, c’est ce qui va nous permettre de renouveler notre position face au passé et au présent. 

Tous les jours, nous avons recours à la critique, en particulier dans les activités universitaires. Mais la critique qu’exerce et que produit le monde universitaire est rarement une critique déconstructive qui remet en cause les fondements philosophiques sur lesquels nous basons notre façon de penser, de vivre et d’agir. Autrement dit, bien que critique, le discours universitaire ne sait pas déconstruire ses fondements et le système dont il fait partie. 

La critique normale fait partie de tout système. C’est une nécessité vitale qui permet au système de se renouveler sans se changer radicalement. La critique normale fait partie intégrante du système : le système vit et se développe grâce au flux critique qui circule dans ses veines, tout comme le corps a besoin que le sang coule dans ses veines pour se régénérer.

En ce sens, par exemple, la critique que Keynes produit sur le libéralisme permet à ce dernier de se renforcer. Elle permet aux institutions d’injecter encore plus de libéralisme dans leur fonctionnement. 

Il en est de même de la critique d’Edward Saïd envers l’orientalisme. En effet, grâce à sa critique contre les liens de l’orientalisme avec le pouvoir, avec l’impérialisme et avec le colonialisme, l’orientalisme a pris conscience de ses faiblesses, de ses erreurs de langage et de son racisme. Et depuis, il a réagi rapidement pour corriger ses faiblesses et se montrer sous une apparence nouvelle qui cache les mêmes défauts qu’il avait auparavant et qui resteront toujours en lui, car ils font partie intégrante de sa nature. Ainsi, la critique d’Edward Saïd envers l’orientalisme n’a pas du tout changé l’orientalisme de manière fondamentale, mais lui a plutôt donné un vaccin qui l’a renforcé et lui a donné une immunité encore plus forte.

Ainsi, tout système dépend de la critique : il en a besoin pour continuer à se développer. La critique est le sang qui coule dans les veines de tout système économique, culturel, politique ou social. 

Oser passer de la critique normale à la critique déconstructive

La critique déconstructive est tout le contraire de la critique normale : elle n’est pas là pour renforcer le système en place mais pour le réévaluer et l’amener vers une grande amélioration. Elle vise à déstabiliser les postulats du système et les fondements sur lesquels il repose. Elle commence à activer ses outils de critique au moment où elle juge que le système doit changer radicalement. 

La critique connaît deux stades ou deux natures bien distinctes. Au stade enfantin, la critique ne produit que des idées qui permettent au système existant de perdurer sans se transformer radicalement. Au stade mature, la critique devient déconstructrice en ce sens qu’elle déconstruit l’ensemble du système dont elle fait partie. Elle rejette la plupart des données et des postulats que la critique normale considère comme clairs, évidents et naturels. Elle est au cœur de la chose critiquée. Elle questionne les fondements, c’est-à-dire les bases philosophiques, ontologiques et épistémologiques qu’elle a en commun avec le système existant.

La critique déconstructive passe par la démolition et vise la reconstruction. Elle n’accepte pas les slogans et les postulats idéologiques, car elle cherche toujours des racines pour aller au-delà des concepts qui peignent les choses d’une couleur idéologique sacrée. 

La critique déconstructive est un art, l’art de la déconstruction généalogique, c’est-à-dire l’art de rechercher les racines cachées du système et de révéler les relations entre elles, relations souvent cachées à l’œil nu, y compris à l’œil de la critique normale.

Prenons un exemple

De la critique normale à la critique déconstructive du concept de liberté

Prenons, par exemple, le concept de liberté. C’est l’un des concepts les plus importants et les plus sacrés de la modernité. Bien que ce soit un concept séculier, c’est un concept aussi sain et sacré que les concepts religieux, en ce sens que la critique de ce concept conduit celui qui le critique à être taxé et à être lunché par les accusations publiques les plus odieuses, à l’image du Moyen Âge européen où l’on brûlait sur la croix ceux qui pensaient différemment. Mais aujourd’hui, nous ne sommes pas brûlés ou crucifiés physiquement : nous subissons ces châtiments sous d’autres formes, au nom de la liberté.

En réalité, la liberté dont il est question aujourd’hui, c’est un type spécifiquement moderne qui est devenu sacré au point d’interdire tout autre type de conception de la liberté. En effet, le concept moderne de liberté, en se sacralisant, interdit le droit d’exister à toute autre conception de la liberté. Le concept moderne de liberté fait partie de la religion libérale qui a sacralisé d’autres concepts tels que le progrès. 

Ainsi, la critique déconstructive du concept moderne dominant de liberté, est une activité méthodologique qui consiste à révéler l’impensé et le non-dit. Ceci car tout discours dominant reflète les structures complexes du système : il a nécessairement éliminé d’autres possibilités discursives, les possibilités de rivaliser contre le discours officiel ou contre le discours systémique.

De façon contradictoire, le discours de la liberté qui domine aujourd’hui est un discours qui a déclaré la guerre à tout autre concept de liberté. La liberté libérale ne donne de liberté à aucun autre concept. Le concept libéral de liberté a supprimé et a interdit tout autre concept de liberté, en s’imposant au monde entier comme étant le seul discours légitime. C’est un discours totalitaire qui se veut absolument vrai tout le temps, pour tous, partout. Il s’impose à la diversité du passé et du présent. Il s’impose comme critère de jugement et comme tribunal pour juger des expériences des différents peuples asiatiques, africains et autres.

La contradiction est d’autant plus criante que le concept libéral de liberté se veut universel alors qu’il n’est que le produit de l’expérience particulière européenne. Ce concept de liberté n’a été produit par aucune société autre que la société européenne. Il masque son origine spécifique pour faire croire dans sa nature sacrée et universelle.

En somme, le concept libéral de liberté renferme deux contradictions majeures. La première est qu’il n’y a de liberté que pour la liberté libérale. La seconde est qu’il prétend à l’universalité alors qu’il est produit dans un contexte culturel particulier : l’Europe de l’Ouest. 

En effet, l’Europe a produit un concept de liberté qui lui est propre, résultat de sa propre expérience, puis l’a annoncé comme un concept universel sans justification, et a exclu de l’existence tout autre concept. Le concept moderne de liberté est un concept fondamentalement libéral, entièrement structuré par l’histoire capitaliste. Car la liberté libérale repose sur des fondements matériels que sont le concept de propriété privée et l’émergence d’une classe bourgeoise depuis le 16e siècle, qui veut protéger ses droits matériels, d’une part de la tyrannie du dirigeant, et d’autre part, des mouvements populaires. 

Il est clair que le succès de cette classe bourgeoise à contenir la tyrannie des dirigeants et la révolution des gens ordinaires, était la pierre angulaire sur laquelle le système politique libéral a été construit.

Ce système repose sur ces deux piliers. Le premier pilier est l’argent, le matériel, le matérialisme et le capitalisme. Le second pilier est le gouvernement et l’appareil sécuritaire répressif nécessaires pour établir les bases du système d’hégémonie capitaliste et matérielle.

Tout cela signifie que le concept de liberté qui s’est répandu dans le monde d’aujourd’hui, est un concept dont les limites ont été définies par le chemin politique et économique épineux et complexe de l’Europe, un chemin qui s’est fondé sur une expérience particulière et unique.

Par conséquent, on peut dire que le concept de liberté qui domine aujourd’hui, s’impose comme une forme de pensée unique, comme l’unique concept de liberté qui a la liberté de s’exprimer. Or ce concept souffre d’une déficience qualitative, car il a été réduit et a exclu d’autres types de liberté dont l’Europe ne s’est pas préoccupé.

Nul ne peut prétendre que toute liberté est une forme de démocratie, ou que toute démocratie est une forme de liberté. Aujourd’hui, on peut voir comment la démocratie peut fonctionner de façon répressive et totalitaire, selon des degrés différents. L’occident a tendance à revendiquer la démocratie et à en faire l’éloge, tout en opprimant ses minorités, les mouvements populaires et la démocratie dans d’autres pays. On peut voir également dans le monde arabe comment des dictateurs se présentent comme les représentants de la démocratie tout en opprimant les minorités voire la majorité.   

De la liberté extérieure à la liberté intérieure

La liberté libérale est à la fois réductrice et exclusive. Elle a entièrement effacé les autres concepts de liberté des pages d’histoire des cinq siècles passés. La critique déconstructive permet de libérer et d’enrichir le concept de liberté. En ce sens, nous devons distinguer deux types ou deux concepts de liberté : la liberté extérieure et la liberté intérieure. 

La liberté extérieure est essentiellement une liberté politique, qui tente de donner à l’individu une liberté d’action dans la vie pratique et politique. Mais elle ne prétend pas et ne peut pas prétendre avoir quoi que ce soit à voir avec la liberté de conscience, d’âme et d’esprit. Elle abdique volontairement de la responsabilité de développer le moi intérieur. Elle laisse ainsi l’individu devenir la proie de la lutte des forces extérieures visant à le contrôler et à l’isoler de son groupe, pour devenir un consommateur capitaliste embrigadé dans le système de consommation. Elle laisse ces forces extérieures manipuler l’individu en manipulant ses intérêts, son corps, sa quête de plaisir et de bien-être. Et à mesure que ces forces extérieures grandissent et s’intensifient, le sens de l’individualité, le narcissisme et d’autres maladies sociales (la solitude, la dépression, le suicide…), grandissent avec elles. 

La liberté libérale est une liberté extérieure qui produit des effets négatifs et de l’autodestruction. Elle paraît belle et séduisante de l’extérieur. Mais elle produit des ravages extérieurs – elle détruit l’environnement et nous embarque dans la crise écologique mondiale – et intérieurs : elle abîme l’âme de l’individu. La destruction extérieure et intérieure, physique et spirituelle, intellectuelle et morale, la destruction de la nature et celle de l’âme sont inséparables.

Quant à la liberté intérieure, elle part de l’intérieur, de l’esprit, du cœur et de l’âme, puis progresse vers l’extérieur, impactant ainsi la société, la politique, l’économie et tous les domaines de la vie. 

Alors que la liberté extérieure commence par la décision politique, la liberté intérieure est une liberté intellectuelle et spirituelle qui commence par la conscience de soi et le désir de s’occuper de ce qui se passe en soi-même (اشتغال النفس على النفس). La liberté intérieure se développe par la discipline, par le travail sur sa personne et notamment sur son intention. 

D’ailleurs, ces techniques de travail sur la liberté intérieure étaient largement populaires jusqu’au 19e siècle dans presque toutes les régions du monde. La ummah islamique les a très bien perfectionnées à travers la sharī’ah et la vertu (al-akhlāq).

L’une des caractéristiques fondamentales de la liberté intérieure est le travail de libération de la nécessité et du besoin, de libération surtout de ce qui rend l’individu esclave de ses besoins et de ses désirs. La liberté extérieure conduit à soumettre l’âme et à se soumettre, car elle crée la confusion entre besoins et désirs, entre besoin et convoitise, entre besoin et luxure… Elle prépare l’individu à se soumettre au marché capitaliste de la consommation. Et ce qui a aggravé les choses, c’est que quiconque ne se soumet pas au marché et ne s’engage dans la consommation est alors perçu comme étant anormal, comme s’il appartenait à une époque arriérée.

La liberté intérieure libère de la soumission à la consommation par la voie du contentement – القناعة – c’est-à-dire par l’effort de se contenter de ce que l’on a. La liberté intérieure est la grande puissance qui se développe grâce au travail de maîtrise de soi voire de diminution des forces intérieures sources d’injustice.

La liberté intérieure conduit l’individu vers sa dignité, le rend honorable et indépendant. Elle le conduit à dépasser la tentation d’être l’esclave de ses passions et de ses faiblesses pour devenir le centre du pouvoir individuel.

La volonté véritablement libre, ce n’est pas la volonté qui suit le matérialisme, le corporel, le plaisir et le bien-être au point d’en faire des valeurs supérieures à toute autre. La volonté véritablement libre, c’est celle qui freine les désirs superficiels pour renforcer ce qu’un philosophe a appelé « la forteresse intérieure ». Cette forteresse intérieure est une forteresse morale qui interagit avec l’environnement extérieur sur la base du contentement – القناعة –, de la maîtrise de soi, de la dignité et du respect. Elle se base sur l’idée que l’être humain est une partie dans un tout – فرعية الإنسان –, qu’il est une créature comme toutes les autres créatures. 

Ces idées sont de grandes fondations sur lesquelles on peut construire une relation plus respectueuse avec la nature et entre les êtres humains. Ces idées se sont concrétisées dans l’histoire, par exemple avec certains califes et sultans musulmans.

En somme, la liberté extérieure commence par la liberté matérielle et par l’apparence de liberté. Mais elle se termine par le vide et la destruction de la forteresse. Elle accentue la faiblesse et la soumission de l’âme en l’exposant à une vie superficielle. A l’inverse, la liberté intérieure part d’une puissante forteresse, et permet d’enrichir la vie collective de valeurs plus humaines, de justice politique et sociale.

Conclusion 

En conclusion, premièrement, nous devons nous libérer intérieurement en nous débarrassant de toutes ces notions et de tous ces sentiments d’inertie, de manque de confiance en soi et de décadence. Nous sommes une ummah avec un esprit comme tous les autres peuples, et nous ne sommes ni inférieurs ni meilleurs que les autres. Tout ce qu’un peuple peut faire, nous pouvons aussi le faire. Et face à cette crise moderne, c’est le moment de faire quelque chose de meilleur que ce que font les autres. 

Deuxièmement, nous devons maîtriser l’art d’étudier et d’examiner en profondeur ce que nous lisons. Nous devons comprendre l’Occident moderne et ce qu’il a produit, sans jugement a priori, et sans se laisser tromper par sa domination sur le monde. Car si cette domination était réussie et constructive, pacifique et éthique, il n’y aurait pas de résistance. Or les voix du peuple et différents mouvements populaires, en Occident même, se sont élevés pour résister, combattre et critiquer les dispositifs et les systèmes qui les dominent et nous dominent également.

Troisièmement, nous devons pratiquer une critique profonde de la réalité, une critique qui consiste en l’évaluation des postulats qui dominent notre réalité. Nous devons évaluer ces postulats pour voir non seulement s’ils sont valables, mais aussi pour analyser l’impensé ou ce qui a été passé sous silence. Car le silence parle son propre langage : il parle fort et il est bruyant malgré son silence et son refoulement. Il faut chercher les postulats qui ont été oblitérés par les postulats modernistes, car ils contiennent une énergie morale humaine qui ne meurt pas avec l’histoire.

La critique la plus juste, c’est une critique qui à la fois déconstruit et reconstruit. Il est vital pour nous tous de développer et d’intégrer cet exercice à notre façon de penser et à notre culture.


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Abdela Abdel

Magnifique article.