Jacques Berque et Malek Bennabi : Désoccidentaliser les sciences sociales
Introduction
Au lendemain des indépendances africaines et asiatiques, alors que le vent de la liberté souffle sur des millions d’êtres humains récemment libérés du joug colonial, un intellectuel français prend la parole au Collège de France. Jacques Berque, spécialiste reconnu de l’islam et des sociétés musulmanes, prononce un discours qui résonne encore aujourd’hui avec une actualité saisissante. Son message ? Les sciences sociales occidentales sont enfermées dans leur « péninsule » géographique et culturelle. Elles ne peuvent plus prétendre à l’universalité tant qu’elles n’intègrent pas les perspectives, les savoirs et les expériences des peuples du Sud.
Ce discours n’est pas une invitation au relativisme ou au pessimisme. C’est au contraire un appel à une refondation des sciences humaines, à leur véritable universalisation. Berque ose affirmer que ce que l’on appelle les « pays sous-développés » sont en réalité des « pays sous-analysés » ou mal analysés :
« J’en arrive donc à cette proposition à la fois optimiste et pessimiste : c’est qu’il n’y a pas actuellement de pays sous-développés ; il y a des pays sous-analysés. »[1]
Le problème n’est pas d’abord économique ou technique, il est épistémologique : nos outils conceptuels, nos théories, nos méthodes sont inadaptés pour saisir les réalités du monde non-occidental.
Soixante ans plus tard, à l’heure où les débats sur la décolonisation des savoirs agitent les universités, où les critiques postcoloniales et décoloniales interrogent l’hégémonie intellectuelle occidentale, la pensée de Berque mérite d’être redécouverte. Elle nous invite à repenser radicalement la production des connaissances sur l’islam et les musulmans. Plus encore, elle nous engage à transformer nos institutions académiques pour les rendre véritablement plurielles et justes.
Comment la décolonisation politique a-t-elle révélé la dépendance intellectuelle ?
Lorsque les drapeaux des anciennes puissances coloniales sont descendus des mâts à Alger, Dakar, Jakarta ou Le Caire, beaucoup ont cru que l’histoire tournait définitivement une page sombre. L’indépendance politique semblait annoncer la fin de la domination et le début d’une ère nouvelle. Pourtant, Jacques Berque observe avec lucidité que la décolonisation n’a pas laissé aux pays nouvellement indépendants le temps de se fédérer, de réfléchir ensemble à leurs défis communs, de tracer leur propre voie.
Bien au contraire, ces jeunes nations se sont retrouvées immédiatement soumises à un nouveau type de dépendance, plus insidieuse car moins visible. La colonisation explicite et directe a cédé la place à une forme de domination implicite et indirecte. Les pays décolonisés se sont vus imposer le modèle du « développement » occidental, avec son cortège de techniques, de produits culturels, de normes et de valeurs présentés comme universels mais qui ne sont en réalité que l’expression d’une civilisation particulière.
Berque écrit avec force :
« Or avant, bien avant que ces nationalités ainsi restituées ne passent à l’exercice délibéré d’une conscience de groupe, elles sont forcées de recevoir d’autrui des modèles. Ces modèles, elles les ont empruntés, par la force des choses, aux pays de la technicité triomphante : c’est-à-dire aux pays colonisateurs. »[2]
Cette nouvelle dépendance est d’autant plus dangereuse qu’elle ne se limite pas aux aspects matériels. Elle touche au cœur même de la vision du monde, de la conception de l’homme, de la compréhension de ce qui constitue une vie bonne et une société juste. L’Occident n’exporte pas seulement des machines et des produits : il diffuse surtout une vision de l’homme particulière qu’il présente comme universelle :
« Ne nous y trompons pas. Les pires ‘séquelles’ de la colonisation, pour irritantes qu’elles soient, ne consistent pas dans les entraves que cherche à rompre la politique des jeunes États, non plus que dans ces limitations longuement survivantes. Elles consistent dans la continuation de ce qui avait causé la dépendance elle-même, et la faisait bien plus fondamentalement que toute mainmise autoritaire : à savoir l’expansion de la civilisation industrielle et de son hypothèse de l’homme. Cette expansion s’analysait en trois choses : la transmission de techniques, de langages et d’attitudes ; l’uniformisation croissante qui en résultait pour le monde (…). »[3]
L’occidentalisation du monde se poursuit depuis la Seconde Guerre occidentale mondiale de façon bien plus efficace qu’au temps de la colonisation directe. Berque l’affirme sans détour : l’expansion des modèles occidentaux en dix ou quinze ans après 1945 a dépassé ce qu’un demi-siècle de colonisation avait pu accomplir. Cette diffusion massive s’appuie sur trois vecteurs principaux : la transmission de techniques, l’imposition de langages et l’uniformisation croissante des esprits, des comportements et du mode de vie :
« En ce sens, l’émancipation traduit un second stade de l’uniformisation du monde, ce second stade liquidant et prolongeant le premier. Mais la liquidation simultanée du divers, de ce qui, dans ces pays, s’affirmait contre l’Occident, non pas encore par la lutte, mais par la différence — ‘genres’ locaux, traditions, religion, originalités d’allure, du cadre, de comportement — cette liquidation du divers ne pose-t-elle pas d’angoissants problèmes ? »[4]
Le paradoxe est que cette occidentalisation forcée du monde a échoué en ce sens qu’elle a été largement refusée par les peuples concernés. Les valeurs universelles brandies par l’impérialisme occidental – liberté, démocratie, droits humains – se sont retournées contre lui, précisément parce qu’il en a fait un usage hypocrite et instrumental. Ces valeurs n’ont été véritablement émancipatrices que dans la mesure où elles ont été réappropriées et réinventées par les peuples dominés eux-mêmes.
Berque note avec perspicacité :
« Cette appropriation est rarement faite. On peut même dire que l’un des échecs de l’impérialisme est de l’avoir ratée, ou compromise. Il a fait mauvais usage de valeurs universelles. Leur rôle ‘bienfaisant’ et ‘éducateur’ s’est donc manifesté dans la mesure même où elles se retournaient contre lui. Elles l’ont fait avec plus ou moins d’efficacité. Mais, pour être parfaitement assumées, elles doivent être réinventées. C’est parce que ce n’est pas toujours le cas, que règne ce désordre dans l’ensemble de ce monde qui nous entoure. Cet immense gaspillage d’énergie, d’espérance et de souffrance humaine vient de l’inadéquation relative des modèles. Voilà pourquoi, faute de trouver une véritable chaîne d’application et même d’analyse, les sciences sociales en sont venues à se demander elles-mêmes si elles existaient, en tout cas si elles existaient relativement à telle ou telle spécificité de peuples ou de problèmes. »[5]
Cette inadéquation entre les modèles imposés et les réalités locales explique l’immense gaspillage d’énergie, d’espérance et de souffrance humaine qui caractérise le monde post-colonial. Les sciences sociales, nées dans le contexte occidental, peinent à analyser ces situations inédites. Elles se retrouvent désarmées face aux défis posés par la décolonisation.
Pourquoi les sociétés musulmanes sont-elles prises entre efficacité et authenticité ?
Lorsque les chercheurs en sciences sociales se penchent sur les sociétés musulmanes contemporaines, ils observent un phénomène récurrent : ces sociétés sont constamment aux prises avec un double défi, celui de l’efficacité et celui de l’authenticité.[6] Ce n’est pas un hasard, affirme Berque, mais le résultat direct de leur position dans l’histoire mondiale récente.
La quête d’efficacité pousse ces sociétés à adopter les techniques, les institutions et les modèles organisationnels qui ont fait le succès matériel de l’Occident. Comment construire une économie moderne ? Comment organiser une administration efficace ? Comment créer un système éducatif performant ? Pour répondre à ces questions urgentes, la tentation est grande d’importer simplement ce qui fonctionne ailleurs, d’adopter les « bonnes pratiques » occidentales.
Mais cette course à l’efficacité entre en tension avec une autre exigence tout aussi fondamentale : la quête d’authenticité. Celle-ci ne relève pas d’un simple conservatisme nostalgique ou d’un refus obtus de la modernité. Elle exprime un besoin vital de préserver ce qui a de la valeur dans son héritage civilisationnel, de rester fidèle à soi-même tout en se transformant.
Berque formule ainsi ce défi :
« Le problème de l’authenticité nous plonge dans le problème de valeurs personnelles, souvent tacites, non dénommées, obscures, non analysées, à peine pressenties, et qui n’en sont pas moins contraignantes. De quelque façon que l’on aborde ce problème, il se résume, pour l’Oriental, à rester soi-même, tout en se transformant. »[7]
Cette tension entre efficacité et authenticité n’est pas propre aux sociétés musulmanes, mais elle s’y manifeste avec une acuité particulière. D’une part, ces sociétés subissent une pression immense pour se « moderniser » selon les critères occidentaux, sous peine d’être marginalisées dans le concert des nations. D’autre part, elles portent un héritage spirituel et civilisationnel riche qui continue de structurer profondément l’identité collective et les aspirations individuelles.
Le drame est que les sciences sociales occidentales manquent cruellement de modèles théoriques pour penser cette double exigence. Elles ont été construites dans un contexte où la modernisation était pensée comme un processus linéaire d’occidentalisation, où le « développement » signifiait nécessairement l’abandon progressif des particularismes culturels au profit d’une rationalité universelle – en réalité, occidentale.
Berque constate cette carence avec lucidité :
« Je propose donc à la discussion un constat. Nous manquons à l’heure actuelle, quant au phénomène de la décolonisation, à la fois de théories de l’intérieur qui soient propres, spécifiques à ces pays, et en même temps de théories de l’extérieur qui rendent compte du mouvement de ces pays dans l’ensemble du monde. »[8]
Comment les sociétés musulmanes peuvent-elles se transformer sans perdre leur âme ? Comment peuvent-elles emprunter des techniques sans adopter aveuglément les visions du monde qui les ont produites ? Ces questions ne sont pas seulement théoriques. Elles se posent concrètement dans tous les domaines : l’éducation, l’économie, le droit, l’organisation politique, les relations familiales…
L’analyse de Berque invite à complexifier notre regard. L’indépendance politique n’a pas mis fin à la dépendance ; elle l’a transformée. Le défi n’est plus de lutter contre un colonisateur clairement identifié, mais de se libérer d’une forme plus subtile de domination intellectuelle et culturelle qui opère de l’intérieur même des sociétés décolonisées.
En quoi l’enfermement « péninsulaire » des sciences sociales les empêche-t-il de comprendre le monde ?
L’image est saisissante : Jacques Berque compare les sciences sociales occidentales à une « péninsule », un espace géographique limité qui prétendrait pourtant rendre compte de la totalité du monde. Cette métaphore révèle une critique profonde : les théories, les concepts, les méthodes des sciences humaines ont été élaborés dans un contexte historique et culturel particulier – l’Europe moderne – mais sont présentés comme universellement valables.
Ce « péninsularisme » des sciences sociales ne les rend pas seulement inadéquates pour comprendre les sociétés non-occidentales. Il les empêche même de saisir des phénomènes qui émergent au sein même des sociétés occidentales. Berque élargit ainsi sa critique :
« Ce n’est pas seulement les pays coloniaux, ou ex-coloniaux qui ne se retrouvent pas dans certaines de nos théories ; il y a aussi, à l’intérieur des pays occidentaux, des portions d’eux-mêmes, considérables, mais plus fortes par l’élan anthropologique que par la participation historique. »[9]
L’intellectuel français met en lumière un point essentiel : les jeunes et les femmes, dans les années 1960, commencent à ne plus se reconnaître dans les théories dominantes des sciences sociales. La façon de nommer les jeunes, les femmes et le monde décolonisé révèle une hiérarchie implicite :
« Ce n’est pas un hasard que nous appelions la jeunesse ‘le premier âge’, la femme ‘le deuxième sexe’, et le monde nouveau ‘le Tiers Monde’. Premier, deuxième, troisième, par rapport à qui ? Toujours par rapport à l’adulte occidental péninsulaire ! »[10]
Cette prise de conscience des limites épistémologiques des sciences sociales s’accompagne malheureusement souvent d’une réaction répressive de la part des pouvoirs établis. Face aux revendications de ceux qui ne se retrouvent pas dans les cadres théoriques dominants – qu’il s’agisse des pays décolonisés, des jeunes ou des femmes – la tentation est grande de répondre par la force plutôt que par la réflexion. Berque s’interroge :
« Quelle est la réponse de cet homme ? Il est trop facile de répondre à de telles interrogations par la matraque, par la prison, à moins que ce ne soit par des concessions démagogiques, à moins que ce ne soit encore par un vertuisme conquérant. »[11]
La vraie réponse ne peut être ni répressive ni superficielle. Elle exige d’abord de reconnaître l’incapacité relative des théories « péninsulaires » à rendre compte de la vision planétaire que nous devrions aujourd’hui assumer. Cette reconnaissance n’est pas un aveu de faiblesse mais le préalable nécessaire à toute refondation authentique des sciences humaines.
Le « péninsularisme » se manifeste concrètement dans la façon dont les sciences sociales abordent l’étude de l’islam et des musulmans. Trop souvent, ces sociétés sont analysées à travers des grilles de lecture élaborées pour comprendre d’autres contextes : sécularisation, modernisation, rationalisation. Quand ces schémas ne fonctionnent pas – et ils ne fonctionnent pas –, on en conclut que ces sociétés sont « en retard », « traditionnelles », « résistantes au changement », plutôt que de remettre en question la pertinence même des cadres théoriques utilisés.
Cette impasse épistémologique a des conséquences politiques graves. Elle nourrit l’incompréhension mutuelle, alimente les stéréotypes, et empêche l’émergence de véritables dialogues interculturels. Plus fondamentalement encore, elle prive l’humanité des contributions intellectuelles que pourraient apporter les traditions de pensée non-occidentales à la résolution des défis communs.
Comment sortir les sciences sociales de leur crise ?
Face à cette impasse, Jacques Berque ne verse ni dans le pessimisme ni dans le relativisme. Il propose une voie de sortie ambitieuse : restaurer « l’homme plural » au cœur des sciences humaines. Cette expression désigne la reconnaissance de la diversité irréductible des façons d’être humain, de voir le monde, de donner sens à l’existence.
La crise des sciences sociales est intimement liée à la crise de l’homme moderne occidental, et réciproquement. En se décentrant de cette figure particulière de l’humanité – l’adulte mâle blanc occidental –, en intégrant authentiquement le point de vue des autres, les sciences sociales pourront se réformer en profondeur. Berque écrit :
« L’impuissance provisoire des sciences sociales s’insère dans la crise de l’homme moderne, dont le remède sera sans doute une restauration de l’homme plural. »[12]
Cette restauration ne peut se faire que si nous remettons en cause « toutes les séries linéaires », c’est-à-dire les schémas évolutionnistes qui pensent l’histoire humaine comme un parcours unique allant de la tradition à la modernité, de l’arriération au développement. Il faut passer d’une vision successive à une vision simultanée de la planète, reconnaissant que différentes conceptions du monde, différentes formes d’organisation sociale, différentes rationalités coexistent légitimement.
Berque imagine un futur où l’enseignement des sciences sociales serait transformé par cette prise de conscience :
« Peut-être que bientôt le professeur aura derrière lui des écrans, sur sa table des amplificateurs, reliés radiophoniquement aux pays dont il parle : il serait si instructif, et pour lui et pour ses auditeurs, qu’il convie des peuples éloignés, des enquêteurs sur le terrain, à parler eux-mêmes dans le même instant. »[13]
Cette vision anticipatoire de l’interconnexion planétaire, écrite bien avant l’ère d’internet et de la visioconférence, exprime une exigence fondamentale : ceux qui sont étudiés doivent pouvoir parler pour eux-mêmes, apporter leur propre perspective, contester les interprétations qui sont faites de leur réalité.
La prise de conscience de cette crise pousse certains chercheurs occidentaux vers des positions radicales. Berque note que certains en viennent à contester l’histoire elle-même, parce qu’elle serait entachée de la vision de la civilisation industrielle occidentale, « c’est-à-dire d’une hypothèse partielle et limitative. »[14] Mais porter un regard critique sur l’histoire et sur les sciences sociales ne doit pas conduire au rejet pur et simple.
Au contraire, affirme Berque, c’est précisément en s’appuyant sur les apports du monde non-occidental, et notamment de l’islam, que l’Occident et les sciences sociales pourront retrouver leur sens :
« S’il y a direction, c’est que notre recherche, notre crise, notre souffrance ont un sens. Nous avons perdu une sorte de plénitude, mais nous cherchons une nouvelle sorte de plénitude. Et c’est à quoi, dans une certaine mesure, la résurrection de ces pays que l’on appelle injustement, mais sympathiquement, “pays neufs”, peut nous aider à répondre. »[15]
Cette ouverture n’est pas un acte de charité envers les « pays neufs ». C’est une nécessité vitale pour l’Occident lui-même, enlisé dans ses contradictions et ses impasses. La contribution des civilisations non-occidentales n’est pas un simple enrichissement optionnel mais une condition de possibilité d’un savoir véritablement universel.
Concrètement, désoccidentaliser les sciences sociales signifie transformer radicalement la production des connaissances. Pour étudier les théories de l’État et de la démocratie, on ne doit plus se baser uniquement sur la Grèce antique et sur la démocratie américaine. On doit s’ouvrir à l’expérience de l’administration publique dans les différentes civilisations, en explorant leurs conceptions et leurs institutions. Pour étudier la sociologie des religions, on ne doit plus instrumentaliser des chercheurs musulmans qui ne font qu’appliquer les théories occidentales. On doit s’ouvrir à la façon dont les musulmans engagés et les textes fondateurs de l’islam s’expriment sur le sujet.
De la même manière que pour étudier le judaïsme, le christianisme ou le bouddhisme, on s’appuie sur des chercheurs juifs, chrétiens et bouddhistes engagés dans leur voie spirituelle, pour étudier l’islam de façon juste, il est nécessaire de s’appuyer sur des chercheurs musulmans engagés dans cette voie et capables de proposer un éclairage de l’intérieur.
Berque et Bennabi : deux penseurs, une même intuition décoloniale ?
À la même époque où Jacques Berque prononce son discours au Collège de France, un penseur musulman algérien, Malek Bennabi, développe une réflexion étonnamment convergente sur la nécessité de décoloniser les sciences et les savoirs. Bien que ces deux intellectuels viennent d’horizons différents – l’un français et orientaliste, l’autre algérien et musulman engagé – leurs analyses se rejoignent sur plusieurs points essentiels.
Berque et Bennabi partagent d’abord le même constat : la décolonisation politique n’a pas suffi à libérer les peuples du Sud. Une nouvelle forme de dépendance s’est installée, plus insidieuse, qui passe par l’imposition de modèles intellectuels, de cadres conceptuels, de visions du monde. Tous deux comprennent que la véritable libération doit être d’abord intellectuelle et épistémologique.
Là où Berque parle de « désoccidentaliser » les sciences sociales, Bennabi développe le concept de « colonisabilité » (للاستعمار القابلية – al-qābilīyah li al-istiʿmār). Pour lui, le problème n’est pas seulement la colonisation en tant que système de domination externe, mais aussi une disposition interne qui rend les sociétés musulmanes vulnérables à cette domination. Cette colonisabilité se manifeste notamment dans ce que Bennabi appelle le « monde des idées » (عالم الأفكار – ʿālam al-afkār) versus le « monde des choses » (الأشياء عالم – ʿālam al-ashyāʾ).
Bennabi observe que les sociétés musulmanes ont importé massivement les « choses » de l’Occident – ses techniques, ses produits, ses gadgets – sans développer les « idées » qui permettraient de les produire elles-mêmes. « Il est plus simple d’acheter une Cadillac ou un réfrigérateur que d’acquérir les idées nécessaires pour les construire », écrit-il. Cette dépendance matérielle s’accompagne d’une dépendance intellectuelle plus profonde : les musulmans empruntent non seulement les produits de la civilisation occidentale, mais aussi ses concepts, ses langues, ses théories, sans esprit critique.
Cette analyse rejoint la critique de Berque sur l’inadéquation des modèles occidentaux aux réalités locales. Tous deux comprennent que l’imitation superficielle des apparences de la modernité occidentale ne peut produire une véritable renaissance. Berque parle du « gaspillage d’énergie, d’espérance et de souffrance humaine » qui résulte de cette inadéquation. Bennabi, de son côté, dénonce « l’atomisme » de l’esprit musulman : la tendance à vouloir résoudre les problèmes de façon fragmentaire, en important des solutions toutes faites plutôt qu’en développant une vision d’ensemble cohérente.
Les deux penseurs se rejoignent également sur le diagnostic du double défi que doivent affronter les sociétés musulmanes : le défi de l’efficacité et celui de l’authenticité. Bennabi formule cette tension à travers son idée d’Afro-Asiatisme : comment les peuples récemment décolonisés peuvent-ils construire une civilisation moderne sans perdre leur identité ? Comment peuvent-ils accéder à l’efficacité technique sans adopter le matérialisme occidental ?
Pour Bennabi, la solution passe par la construction d’un « Commonwealth islamique » qui ne serait ni un État centralisé ni une simple alliance politique, mais un espace culturel et moral partagé. Ce projet vise à permettre aux sociétés musulmanes de se développer selon leurs propres finalités civilisationnelles, tout en participant au monde moderne.
Berque, sans utiliser les mêmes termes, exprime une intuition similaire lorsqu’il appelle à une « théorie du 20e siècle qui tienne compte de ce phénomène planétaire ».[16]
Pour lui aussi, il s’agit de créer les conditions d’une production de savoir véritablement universelle, qui intègre les perspectives et les contributions des différentes civilisations.
Les deux intellectuels anticipent ainsi les débats contemporains sur la décolonisation des savoirs. Ils montrent que la domination coloniale ne s’arrête pas aux frontières politiques ou économiques : elle pénètre au cœur même de la production des connaissances, de l’éducation, de la recherche universitaire. Berque le formule à travers sa critique du « péninsularisme » des sciences sociales. Bennabi le démontre à travers son analyse de la colonisation du « monde des idées ».
Mais par-delà ce diagnostic partagé, Berque et Bennabi se distinguent par leurs réponses. Berque, en tant qu’intellectuel occidental, appelle ses pairs à l’humilité épistémologique, à la reconnaissance de leurs limites, à l’ouverture aux autres traditions de pensée. Bennabi, en tant que musulman engagé, interpelle ses coreligionnaires sur leur responsabilité : il ne suffit pas de dénoncer la domination occidentale, il faut aussi transformer les structures internes qui la rendent possible.
Cette différence de positionnement ne les oppose pas mais les rend complémentaires. Berque ouvre une brèche dans la citadelle académique occidentale en montrant que son universalisme prétendu n’est qu’un particularisme déguisé. Bennabi montre comment les musulmans peuvent investir cette brèche pour reconstruire leur propre tradition intellectuelle et proposer une contribution originale à l’humanité.
Les deux hommes refusent également le piège du relativisme culturel. Il ne s’agit pas de dire que toutes les cultures se valent et qu’aucun dialogue n’est possible. Au contraire, ils croient tous deux à la possibilité d’un universel véritablement universel, construit non par l’imposition d’une vision particulière mais par le dialogue authentique entre les civilisations. Berque parle de « restaurer l’homme plural ». Bennabi évoque le « mondialisme » (العالمية – al-ʿālamīyah), c’est-à-dire une civilisation humaine où les différentes traditions spirituelles et intellectuelles contribueraient à un projet commun de justice et de paix.
Cette convergence entre un orientaliste français et un penseur musulman algérien est d’autant plus remarquable qu’elle se produit dans le contexte tendu de la colonisation française de l’Algérie et de la décolonisation. Elle montre qu’un dialogue authentique est possible, à condition que chacun reconnaisse ses propres limites et soit prêt à apprendre de l’autre. Elle illustre aussi que la critique de l’eurocentrisme n’est pas l’apanage des dominés : elle peut venir aussi de l’intérieur même de la tradition intellectuelle occidentale, portée par ceux qui ont eu le courage de remettre en question les certitudes de leur milieu.
Quelle est l’actualité de Jacques Berque pour les musulmans français aujourd’hui ?
Soixante ans après le discours de Jacques Berque au Collège de France, sa pensée résonne avec une actualité brûlante pour les musulmans vivant en France et en Europe. Les enjeux qu’il a identifiés – la décolonisation des savoirs, la reconnaissance de la pluralité épistémologique, la nécessité de sortir du mimétisme intellectuel – sont aujourd’hui au cœur des débats qui traversent les communautés musulmanes et l’université française.
Les musulmans français occupent une position particulière : ils vivent dans une société occidentale tout en portant un héritage civilisationnel qui trouve ses racines ailleurs. Cette situation fait d’eux des acteurs potentiellement décisifs dans le projet de « désoccidentalisation » des sciences sociales que Berque appelait de ses vœux. Mais pour jouer pleinement ce rôle, plusieurs chantiers doivent être ouverts.
Le défi de la production intellectuelle
Le premier enseignement de Berque pour les musulmans français concerne la nécessité absolue d’investir massivement dans la production intellectuelle et la recherche. Trop souvent, les musulmans se contentent d’être des objets d’étude pour les sciences sociales plutôt que des sujets producteurs de savoirs et de cadres explicatifs. On parle sur eux, rarement avec eux, et encore moins à partir de leurs propres cadres conceptuels.
Cette situation doit changer radicalement. Comme le montre Berque, pour étudier justement le judaïsme, le christianisme ou le bouddhisme, on s’appuie sur des chercheurs juifs, chrétiens et bouddhistes engagés dans leur voie spirituelle. De même, pour étudier l’islam de façon juste et profonde, il est nécessaire de s’appuyer sur des chercheurs musulmans pratiquants, capables de proposer un éclairage de l’intérieur, tout en maîtrisant les exigences académiques de rigueur et d’honnêteté intellectuelle.
Concrètement, cela signifie encourager massivement les étudiants musulmans à poursuivre des études supérieures dans toutes les disciplines : sciences humaines et sociales bien sûr (sociologie, histoire, philosophie, anthropologie), mais aussi sciences exactes, économie, sciences politiques, droit. Il s’agit de former une nouvelle génération d’intellectuels musulmans capables de contribuer au débat académique tout en restant enracinés dans leur tradition spirituelle.
Repenser l’étude de l’islam à l’université
Le constat de Berque sur le « péninsularisme » des sciences sociales trouve une illustration criante dans la façon dont l’islam est étudié dans les universités françaises. Trop souvent, l’approche reste orientaliste au mauvais sens du terme : l’islam est traité comme un objet exotique à analyser de l’extérieur, avec des grilles de lecture inadaptées.
Pour transformer cette situation, les musulmans français doivent s’engager dans le champ académique, non pas pour devenir des « musulmans de service » qui se contentent d’appliquer les théories occidentales à leur communauté, mais pour proposer de nouveaux cadres conceptuels, de nouvelles questions de recherche, de nouvelles méthodologies qui partent de de l’islam comme ressource intellectuelle universelle.
Créer des espaces de recherche indépendants
L’université française, malgré ses qualités, reste marquée par des biais structurels qui rendent difficile l’émergence de perspectives véritablement alternatives sur l’islam. C’est pourquoi il est essentiel que les musulmans créent leurs propres espaces de recherche : think tanks, centres d’études islamiques, revues académiques.
Ces institutions ne doivent pas être des lieux de repli communautaire ou de recherche apologétique. Elles doivent au contraire viser l’excellence académique, publier en français et en anglais, dialoguer avec les autres courants intellectuels. Leur objectif est d’apprendre à voir les choses autrement, en s’ouvrant à l’islam comme ressource intellectuelle universelle, dans un monde en crise qui a besoin d’un regard radicalement neuf.
Concrètement, cela pourrait prendre la forme de :
Instituts de recherche travaillant sur des thématiques prioritaires : éthique musulmane contemporaine, économie islamique adaptée au contexte français, philosophie politique islamique, pédagogie islamique, épistémologie islamique, histoire critique de la colonisation et de la décolonisation.
Revues académiques en sciences humaines et sociales avec comité de lecture, publiées en français et en anglais, diffusées dans toutes les universités européennes.
Programmes de bourses pour encourager les jeunes chercheurs musulmans à poursuivre des thèses de doctorat dans des domaines stratégiques.
Traduction systématique des grandes œuvres de la pensée islamique classique et contemporaine, accompagnées d’introductions critiques situant les textes dans leur contexte historique et intellectuel.
Création de bases de données et d’outils numériques pour faciliter la recherche sur l’islam et les musulmans.
Organisation de colloques internationaux réunissant chercheurs musulmans et non-musulmans autour de grandes questions contemporaines : justice sociale, écologie, bioéthique, intelligence artificielle, etc.
Au-delà de la posture victimaire
Un autre enseignement crucial de la rencontre Berque-Bennabi concerne le dépassement de la posture victimaire. Oui, l’islamophobie existe et doit être combattue. Oui, les discriminations sont réelles et doivent être dénoncées. Mais se contenter de cette dénonciation, sans développer simultanément sa propre force intellectuelle et sociale, conduit à l’impasse.
Bennabi le formule à travers son équation « devoir + droit >< 0 » : pour qu’une société se développe, il faut que la somme soit positive, c’est-à-dire que les devoirs assumés dépassent les droits revendiqués. Cette formule peut sembler dure, mais elle exprime une vérité profonde : le changement social ne vient pas de la seule revendication, mais de la contribution effective au bien commun.
Pour les musulmans français, cela signifie investir massivement dans l’éducation de leurs enfants, dans la formation d’une élite intellectuelle, dans la création d’institutions solides, dans l’engagement citoyen et associatif. C’est par cette contribution effective que le changement personnel et social peut avoir lieu.
Le Coran lui-même nous invite à cette grandeur qui dépasse la simple revendication de nos droits :
« Que soit issue de vous une société universelle qui invite au bien, ordonne le convenable et empêche le mal. Car ce seront eux qui réussiront. »[17]
وَلْتَكُن مِّنكُمْ أُمَّةٌ يَدْعُونَ إِلَى الْخَيْرِ وَيَأْمُرُونَ بِالْمَعْرُوفِ وَيَنْهَوْنَ عَنِ الْمُنكَرِ ۚ وَأُولَٰئِكَ هُمُ الْمُفْلِحُونَ
Cette grandeur nous engage à agir pour le bien commun, et pas seulement pour nos intérêts particuliers ou communautaires. Défendre nos droits est légitime et nécessaire. Mais la vocation du musulman est de faire plus : se donner pour le bien de tous.
Penser à l’échelle mondiale
Enfin, la pensée de Berque et Bennabi invite les musulmans français à ne pas se penser uniquement à l’échelle nationale ou communautaire, mais à s’inscrire dans une vision globale. Bennabi invite à l’idée de « Commonwealth islamique », Berque invite à une « théorie du 20e siècle qui tienne compte du phénomène planétaire » : les deux invitent à élargir l’horizon de sa conscience, de sa pensée, de son action et de ses relations.
Les musulmans français peuvent jouer un rôle de pont entre l’Occident et le monde musulman, entre différents courants intellectuels. Leur maîtrise du français, de l’anglais, de l’arabe, du kabyle, du turc, du sénégalais, du réunionnais et du malais…, leur connaissance de plusieurs univers culturels, leur expérience de minorité et de majorité, sont autant d’atouts pour contribuer à l’émergence d’un savoir véritablement universel.
Cela implique de développer des liens intellectuels et académiques avec les chercheurs musulmans du monde entier, de participer aux débats qui traversent la ummah, mais aussi de dialoguer avec les autres minorités religieuses en Occident, avec les penseurs décoloniaux d’Asie, d’Abya Yala[18] ou d’Afrique, avec tous ceux qui travaillent à décentrer les sciences humaines de leur « péninsule » occidentale.
Conclusion
L’appel de Jacques Berque à « désoccidentaliser » les sciences sociales n’a rien perdu de sa pertinence. Au contraire, à l’heure où les débats sur la décolonisation des savoirs traversent les universités du monde entier, sa pensée apparaît anticipatoire. Il nous rappelle que l’universalisme véritable ne peut naître de l’imposition d’une vision particulière présentée comme universelle, mais seulement du dialogue authentique entre les civilisations, de la science comme dialogue avec la diversité des réalités humaines et la richesse des connaissances cumulées par l’humanité.
Pour que cet universel advienne, Berque invite les sciences sociales occidentales à reconnaître leur « péninsularisme », leurs limites, leur enracinement dans un contexte historique et culturel particulier. Cette humilité épistémologique est le préalable nécessaire à toute ouverture véritable.
Mais cette ouverture ne sera effective que si les courants intellectuels non-occidentales, et notamment l’islam, acceptent de relever le défi de la production de savoir. On ne peut pas se contenter de dénoncer la domination épistémologique occidentale si l’on ne développe pas simultanément sa propre capacité de recherche, de création intellectuelle, de proposition théorique.
La rencontre entre Berque et Bennabi nous montre que ce dialogue est possible. Un orientaliste français et un penseur musulman algérien, dans le contexte tendu de la décolonisation, ont su se rejoindre sur un diagnostic partagé et une vision commune de l’avenir. Ils ont montré que la critique de l’eurocentrisme peut venir de l’intérieur comme de l’extérieur de la tradition occidentale, et qu’elle est la condition d’une renaissance intellectuelle pour tous.
Pour les musulmans français et d’Europe, l’héritage de ces deux penseurs est un appel à l’action. Il ne suffit plus d’être des objets d’étude : il faut devenir des sujets producteurs de savoir. Il ne suffit plus de réagir : il faut proposer. Il ne suffit plus de se plaindre : il faut construire.
Cette construction exige du temps, de la patience, de la rigueur. Elle demande d’investir massivement dans l’éducation et la recherche, de former une nouvelle génération d’intellectuels musulmans enracinés dans l’islam comme ressource intellectuelle universelle et maîtrisant les exigences académiques, de créer des institutions solides et durables.
Le défi est immense, mais l’enjeu en vaut la peine. Il ne s’agit de rien moins que de contribuer à l’émergence d’un savoir véritablement universel, où toutes les traditions intellectuelles de l’humanité auraient leur place. Un savoir qui ne serait plus « péninsulaire » mais véritablement planétaire, qui intégrerait « les valeurs d’une humanité plénière ».
Soixante ans après le discours de Berque, le monde a changé mais le défi demeure. Aux musulmans d’aujourd’hui de relever le gant, de transformer l’héritage de ces penseurs en projets concrets, en institutions vivantes, en contributions intellectuelles qui enrichiront non seulement la ummah mais l’humanité tout entière.
Car comme le dit le Coran :
« Nous avons fait de vous une communauté du juste milieu pour que vous soyez témoins envers les gens. »[19]
وَكَذَٰلِكَ جَعَلْنَاكُمْ أُمَّةً وَسَطًا لِّتَكُونُوا شُهَدَاءَ عَلَى النَّاسِ
Être témoin, ce n’est pas seulement observer passivement. C’est contribuer activement, par sa pensée et son action, à la construction d’un monde plus juste. C’est précisément à cette mission que Berque et Bennabi nous invitent.
Bibliographie
Bennabi, Malek. L’Afro-Asiatisme : Conclusions sur la Conférence de Bandoeng. Paris : Héritage Éditions, 2022.
Bennabi, Malek. Idée d’un Commonwealth islamique. Paris : Héritage Éditions, 2023.
Berque, Jacques. « Désoccidentaliser les sciences sociales ». Conférence au Collège de France, années 1960.
[1] Jacques Berque, « Sciences sociales et décolonisation », Tiers-Monde 3, nᵒ 9-10 (1962) : 3.
[2] Jacques Berque, « Sciences sociales et décolonisation », Tiers-Monde 3, nᵒ 9-10 (1962) : 3.
[3] Jacques Berque, « Sciences sociales et décolonisation », Tiers-Monde 3, nᵒ 9-10 (1962) : 4.
[4] Jacques Berque, « Sciences sociales et décolonisation », Tiers-Monde 3, nᵒ 9-10 (1962) : 8.
[5] Jacques Berque, « Sciences sociales et décolonisation », Tiers-Monde 3, nᵒ 9-10 (1962) : 4.
[6] Jacques Berque, « Sciences sociales et décolonisation », Tiers-Monde 3, nᵒ 9-10 (1962) : 5.
[7] Jacques Berque, « Sciences sociales et décolonisation », Tiers-Monde 3, nᵒ 9-10 (1962) : 5-6.
[8] Jacques Berque, « Sciences sociales et décolonisation », Tiers-Monde 3, nᵒ 9-10 (1962) : 6.
[9] Jacques Berque, « Sciences sociales et décolonisation », Tiers-Monde 3, nᵒ 9-10 (1962) : 9.
[10] Jacques Berque, « Sciences sociales et décolonisation », Tiers-Monde 3, nᵒ 9-10 (1962) : 10.
[11] Jacques Berque, « Sciences sociales et décolonisation », Tiers-Monde 3, nᵒ 9-10 (1962) : 9.
[12] Jacques Berque, « Sciences sociales et décolonisation », Tiers-Monde 3, nᵒ 9-10 (1962) : 12.
[13] Jacques Berque, « Sciences sociales et décolonisation », Tiers-Monde 3, nᵒ 9-10 (1962) : 12.
[14] Jacques Berque, « Sciences sociales et décolonisation », Tiers-Monde 3, nᵒ 9-10 (1962) : 13.
[15] Jacques Berque, « Sciences sociales et décolonisation », Tiers-Monde 3, nᵒ 9-10 (1962) : 13.
[16] Jacques Berque, « Sciences sociales et décolonisation », Tiers-Monde 3, nᵒ 9-10 (1962) : 14.
[17] Coran 3 : 104.
[18] Le terme « Amérique latine » a des origines coloniales et eurocentriques : inventé au 19e siècle par des intellectuels français, il visait à contrer l’expansion anglo-saxonne (États-Unis et Royaume-Uni) en affirmant une « identité latine » partagée entre la France et les anciennes colonies ibériques, tout en imposant une vision linguistique et culturelle européenne qui marginalise les peuples autochtones. Dans une perspective décoloniale, l’alternative la plus couramment proposée est Abya Yala, un terme dérivé de la langue guna (ou kuna) des peuples autochtones du Darién (aujourd’hui Panama et Colombie). Il signifie « terre en pleine maturité ». Walter D. Mignolo, The Idea of Latin America (Malden, MA : Blackwell Publishing, 2005), 133.
[19] Coran 2 : 143.


