La lecture rapide : idole ou méthode ?


Ce texte est un extrait du livre de Mohamed Oudihat, L’islam : l’art de lire un livre et de penser avec méthode, éd. Islam actuel, 2022.

Que dit la mode de la lecture rapide sur notre époque ?

La lecture rapide est à la mode, partout dans le monde d’aujourd’hui. Chez les musulmans, on voit se diffuser cette mode. « Comment lire un livre en 1h ? », « Comment lire plus de 2 livres par semaine ? », « Comment lire 500 pages en 1h30 ? », « Comment devenir champion du monde de lecture rapide ? » : telles sont les promesses qui se répètent de plus en plus par tous les coachs.

Pourquoi peut-on se sentir attiré par la méthode de lecture rapide ? Parce qu’on n’a pas le temps de lire. Parce qu’on se sent tout petit face à l’immensité des livres et de la connaissance. Parce qu’on se rend bien compte qu’on n’arrivera jamais à tout lire. Parce qu’on est frustré de ne pas pouvoir lire autant qu’on aimerait, à cause des contraintes de la vie quotidienne. Parce qu’on espère lire plus vite, lire mieux, ou plus simplement, parce qu’on espère enfin se mettre à lire…

D’autres en sont attirés parce qu’ils sont obsédés par la vitesse, parce qu’ils veulent battre les performances de rapidité de lecture, indépendamment du besoin de développer leur capacité à comprendre, à analyser et à penser de façon juste.

En France, la méthode de lecture rapide est diffusée en 1977 grâce au livre Méthode de lecture rapide de Richaudeau et Gauquelin, aux éditions Retz, dans la collection « Savoir communiquer ». Le titre de la collection est révélateur du sens et de l’objectif que l’on fixait à la méthode de lecture rapide : c’est une méthode pour mieux communiquer ce qu’on a lu, dans le cadre des activités scolaires et professionnelles qui nécessitent d’exposer régulièrement le fruit de ses lectures. La méthode de lecture rapide n’est pas perçue comme « un outil de développement personnel », mais de « communication efficace » ou encore d’« efficacité » scolaire et professionnelle. Elle ne promettait pas de contribuer au « bien-être », mais simplement d’aider à être plus efficace à l’école et au travail, lorsqu’on est amené à communiquer sur sa lecture.

C’est pourquoi les étudiants à Sciences Po, par exemple, avouent eux-mêmes maîtriser en fait les « Sciences Pipeau », c’est-à-dire l’art de bien communiquer, voire de « pipeauter », même sur ce qu’on n’a pas lu, même sur ce qu’on ne connaît pas. Car lorsqu’on doit présenter plusieurs travaux écrits et oraux chaque semaine, il est impossible de lire vraiment tout ce qui doit être lu. Dans les écoles de commerce, on utilise la méthode de lecture rapide comme un moyen de faire ses devoirs et de bien communiquer, pour réussir ses examens, pas pour devenir « champion du monde de lecture rapide ». 

Par ailleurs, dans les bibliothèques municipales, les maisons d’édition et les librairies, la méthode de lecture rapide n’était pas classée selon la catégorie « Développement personnel », mais « Efficacité personnelle », « Communication » ou encore « Méthodes ». Ce n’est qu’à partir des années 2000 qu’elle est réinterprétée et packagée pour être mise sur le marché du « développement personnel ». Désormais, lire vite, c’est non seulement être plus efficace, mais aussi et surtout contribuer à son épanouissement.

La mode de la lecture rapide dit quelque chose sur notre époque et sur nous-mêmes. Elle est le signe d’une époque où on a tendance à prendre la vie comme une « pomme » à consommer, à prendre un livre comme un objet de consommation, de divertissement et de bien-être.

Si elle a tant de succès, c’est parce qu’elle attire les personnes qui veulent lire sans sacrifier leur temps, sans faire d’effort pour comprendre, réfléchir et pour exercer leur jugement critique. Ceux qui sont les plus attirés par les méthodes de lecture rapide sont plutôt ceux qui ont la flemme de lire, qui sont dans l’évitement face à l’effort qu’exige le travail de lecture. C’est ce dont témoignent par exemple des participants sur ce qui les a motivés à suivre une formation de lecture rapide :

« J’avais essayé d’esquiver toutes les lectures scolaires. Je n’étais vraiment pas un grand lecteur, je trouvais ça ennuyant ».
« Ce que je cherchais, c’était de lire sans effort et avec plaisir ».

L’entreprise moderne n’arrive plus à motiver les collaborateurs à être « efficaces » et « performants » pour assurer leur sécurité financière et familiale. Désormais, elle cherche à les motiver grâce à l’argument du bien-être : « Sois efficace, apprends à mieux communiquer et à lire plus vite…, pour te développer personnellement ». Telle est la nouvelle façon de motiver que l’on instrumentalise dans les entreprises aujourd’hui. Et la méthode de lecture rapide est valorisée comme un outil, parmi toute une série, qui permet de « se développer personnellement ».

La lecture rapide est une caricature du travail intellectuel

La lecture rapide comme méthode généralisée est une illusion : lire pour comprendre, pour se comprendre, pour réfléchir, pour changer…, ça exige du temps et de la répétition. Les formations qui sont vendues par des « champions du monde » de lecture rapide, c’est une forme de gri-gri moderne qui n’a rien à voir avec l’effort d’éducation et de formation auquel chacun doit participer.

Lire vite n’est pas un objectif, mais un moyen. Lire vite n’est pas un moyen de mieux comprendre un texte, mais ce peut être un bon moyen d’explorer un texte qu’on n’a pas le temps de bien lire pour repérer quelques idées intéressantes ou évaluer l’intérêt de passer plus de temps à le lire plus en profondeur. Lire vite, ce ne doit pas être la principale façon de lire, car, à l’image du fait de manger vite, cela finit par avoir des impacts négatifs sur l’esprit et sur sa vie.

Contrairement aux discours commerciaux de certains qui veulent vendre des « master class » de lecture rapide aux collégiens, aux lycéens et aux adultes en mal de culture express, la lecture rapide n’est pas du tout adaptée à une personne qui a du mal à lire ou qui n’a pas l’habitude de lire. Par exemple, les enfants en difficulté scolaire, les adultes qui n’ont pas fait de longues études ou qui lisent très peu ne peuvent pas profiter et utiliser la méthode de lecture rapide.

Car en fait, pour lire vite, il faut avoir une culture générale qui permet d’imaginer ce que dit un livre en se basant sur quelques indices lus en diagonale. Sans cette culture générale, l’imagination devient une devinette ou plutôt un jeu de hasard qui consiste à remplacer l’idée du texte par l’idée que l’on projette sur le texte. Car il est plus rapide de dire ce que l’on pense plutôt que de faire l’effort d’entrer dans la pensée d’un auteur.

Le problème de « la méthode de la lecture rapide », c’est qu’elle entretient l’illusion que l’on peut tout comprendre, tout de suite, avec peu d’effort. Elle entretient le rejet de l’effort, de la patience et de la persévérance dans sa façon de lire, de penser et de vivre.

La lecture rapide qui consiste à utiliser des techniques pour lire 200 pages en moins de 2h, en restituant des informations du texte – des dates, des lieux, des noms… –, c’est la caricature du travail intellectuel.

Et si la lecture du Coran avait été plus rapide ?

Réfléchissons sur la vitesse de révélation et de lecture du Coran. Sa révélation s’est faite progressivement sur 23 ans, ce qui paraissait très long pour des gens qui voulaient avoir toutes les réponses à toutes leurs questions très vite, sans attendre, sans effort, sans méditer, sans observer et sans réfléchir.

D’ailleurs, la lenteur de la Révélation était un argument que les gens de mauvaise foi utilisaient contre le prophète Muhammad (paix sur lui) et contre la vérité de son Message :

« Ceux qui sont dans le déni disent : ‘’Pourquoi n’a-t-on pas fait descendre sur lui le Coran en une seule fois !’’ Nous te le révélons ainsi pour raffermir ton cœur, et Nous te le récitons avec soin ».
Coran 25 : 32
وَقَالَ الَّذِينَ كَفَرُوا لَوْلَا نُزِّلَ عَلَيْهِ الْقُرْآنُ جُمْلَةً وَاحِدَةً ۚ كَذَٰلِكَ لِنُثَبِّتَ بِهِ فُؤَادَكَ ۖ وَرَتَّلْنَاهُ تَرْتِيلًا

La question est cela dit légitime : pourquoi révéler le Coran aussi lentement en 23 ans, au lieu de le révéler rapidement, en un seul bloc, pour que les gens puissent accéder plus rapidement à son contenu ? Et si on appliquait la méthode de lecture rapide au Coran : que permettrait-elle d’en comprendre ? Entrer dans le Coran et en sortir au bout de 2h, en connaissant quelques informations sur tel ou tel peuple ou prophète, est-ce comprendre le Coran ? Est-ce la bonne méthode pour s’initier à la sagesse que le Coran nous révèle ?

Dieu nous en donne la réponse dans ce même signe : « Nous te le révélons ainsi pour raffermir ton cœur ». 1

Quel est le rapport entre la lenteur dans la révélation et dans la lecture du Coran et son intériorisation, son impact sur le cœur, sur l’esprit et sur la vie de l’individu ? En fait, lire, comprendre et faire entrer la volonté de Dieu dans sa vie personnelle et collective, c’est un long apprentissage, c’est la voie même de l’islam. C’est une voie pratique lente et non pas une opération magique rapide. En lisant, ce qui est le plus difficile et le plus lent, ce n’est pas la vitesse de la lecture, mais la capacité humaine à relier la sagesse révélée à la vie réelle, à faire entrer le contenu du Livre dans sa vie personnelle et collective.

De même qu’on ne peut pas contenir l’océan dans un verre d’eau, l’Homme ne peut pas contenir la connaissance et la sagesse infinies de Dieu dans sa raison, son cœur et ses sens.

Si Dieu fait descendre le Coran progressivement, par fragments, c’est pour en faciliter la lecture, la compréhension, la méditation, la réflexion et la mise en pratique :

« C’est un Coran que Nous avons révélé fragment par fragment, pour que tu le récites lentement aux gens. C’est pour cela que Nous l’avons fait descendre progressivement ».

Coran 17 : 106
وَقُرْآنًا فَرَقْنَاهُ لِتَقْرَأَهُ عَلَى النَّاسِ عَلَىٰ مُكْثٍ وَنَزَّلْنَاهُ تَنزِيلًا

En somme, bien lire le Coran, comme n’importe quel livre qui mérite son attention, c’est ne pas se précipiter, c’est prendre le temps de l’accueillir, de l’évaluer, de le digérer, d’en tirer les conséquences pratiques et de le faire marcher dans la vie réelle.

Bien lire, c’est s’arracher à la tentation de la vitesse et de la précipitation

L’être humain succombe à la tentation de la vitesse : il veut comprendre tout de la Révélation et tout de suite. Il veut voir toutes les preuves de Dieu sans les rechercher. Il veut être heureux tout de suite, tout le temps, sans rien sacrifier. Il veut le Paradis sans l’épreuve de la vie et sans le risque de l’enfer. À force de courir après le bonheur ici et maintenant, total et permanent, il passe à côté de sa raison d’être sur terre et sacrifie le Bien dans la vie présente et future :

« Ces gens-là aiment l’immédiat (ou la vie éphémère sur terre) et laissent derrière eux un jour bien lourd (le Jour du Jugement) ».

Coran 76 : 27
إِنَّ هَٰؤُلَاءِ يُحِبُّونَ الْعَاجِلَةَ وَيَذَرُونَ وَرَاءَهُمْ يَوْمًا ثَقِيلًا

Aujourd’hui, plus qu’hier, on multiplie les activités parallèles pour éviter de sentir de l’ennui et de se retrouver seul. Que l’on soit en cours en ligne ou en réunion à distance, on a tendance à ouvrir plusieurs fenêtres parallèles sur son écran. Même aux toilettes, on a tendance à garder son smartphone pour lire des messages ou regarder des vidéos. Tout se passe comme si on ne supportait plus de poser son attention sur une chose à la fois. Tout se passe comme si on devait faire plein de choses à la fois et aller vite pour ne rien rater et ne pas s’ennuyer.

Et lorsqu’on lit un livre, on veut tellement aller vite qu’on a tendance à confondre la pensée du texte avec sa pensée personnelle. En résumant le texte, en fait, on a tendance à ne retenir que des informations superficielles et à passer à côté de l’essentiel. Trop plein de sa course au bonheur, on ne laisse plus de place en soi-même à la découverte du Bien et de la vérité :

« L’être humain a été créé impatient par nature. Je vous montrerai Mes signes le moment venu. Ne soyez donc pas trop pressés ».
Coran 21 : 37
خُلِقَ الْإِنسَانُ مِنْ عَجَلٍ ۚ سَأُرِيكُمْ آيَاتِي فَلَا تَسْتَعْجِلُونِ

À l’opposé de cette agitation, le Coran invite à prêter toute son attention à ce qui est essentiel, par exemple, lorsqu’on le lit ou l’écoute réciter :

« Lorsque le Coran est récité, écoutez-le attentivement et faites silence. Peut-être vous sera-t-il fait miséricorde »
Coran 2 : 204
وَإِذَا قُرِئَ الْقُرْآنُ فَاسْتَمِعُوا لَهُ وَأَنصِتُوا لَعَلَّكُمْ تُرْحَمُون

On a parfois tendance à lire en accélérant par impatience, au point d’être sourd à ce que le texte peut nous dire. C’est peut-être cette impatience que le prophète Muhammad (paix sur lui) a manifestée, en voulant que la Révélation descende plus souvent, plus vite, pour pouvoir répondre à la pression des gens qui lui posaient des questions. C’est alors que Dieu l’interpelle :

« N’agite pas ta langue en lisant le Coran pour en accélérer la récitation. C’est à Nous qu’il appartient de le rassembler et de le lire.
Au fur et à mesure que Nous le lisons, suis-en la lecture. Et ensuite, c’est à Nous qu’il appartient de l’expliquer. Mais non ! Vous aimez plutôt l’immédiat »

Coran 75 : 16-20
لَا تُحَرِّكْ بِهِ لِسَانَكَ لِتَعْجَلَ بِهِ
إِنَّ عَلَيْنَا جَمْعَهُ وَقُرْآنَهُ
فَإِذَا قَرَأْنَاهُ فَاتَّبِعْ قُرْآنَهُ
ثُمَّ إِنَّ عَلَيْنَا بَيَانَهُ
كَلَّا بَلْ تُحِبُّونَ الْعَاجِلَةَ

Dieu interpelle ici son prophète pour qu’il renonce à la tentation de vouloir tout maîtriser et accélérer. La lecture et la récitation du Coran doivent se faire lentement. Ceci pour en faciliter la compréhension et l’intériorisation.

En fait, lire un livre, comme voyager, c’est un moyen de se réformer et de former sa façon de voir le monde. Dieu invite ces gens qui sont dans la confusion généralisée, dans la bulle de leur époque, de leur tradition ou de leur communauté, à voyager pour changer leur façon de voir les choses et de vivre :

« Pourquoi ne parcourent-ils pas la terre pour être capables de mieux comprendre avec leur cœur et de mieux entendre avec leurs oreilles ? En vérité, ce ne sont pas les yeux qui sont aveugles, mais ce sont les cœurs qui battent dans les poitrines qui sont aveugles »
Coran 22 : 46
أَفَلَمْ يَسِيرُوا فِي الْأَرْضِ فَتَكُونَ لَهُمْ قُلُوبٌ يَعْقِلُونَ بِهَا أَوْ آذَانٌ يَسْمَعُونَ بِهَا ۖ فَإِنَّهَا لَا تَعْمَى الْأَبْصَارُ وَلَٰكِن تَعْمَى الْقُلُوبُ الَّتِي فِي الصُّدُورِ
« N’ont-ils pas parcouru la terre pour voir quelle a été la fin de ceux qui ont vécu avant eux ? Dieu les a détruits, et la même fin attend les gens de mauvaise foi »
Coran 47 : 10
أَفَلَمْ يَسِيرُوا فِي الْأَرْضِ فَيَنظُرُوا كَيْفَ كَانَ عَاقِبَةُ الَّذِينَ مِن قَبْلِهِمْ ۚ دَمَّرَ اللَّهُ عَلَيْهِمْ ۖ وَلِلْكَافِرِينَ أَمْثَالُهَا

On peut « faire un pays en 3 jours » ou on peut l’explorer en quelques mois. On n’en sort pas avec la même chose. On n’est pas la même personne. C’est le temps que l’on passe avec un pays, avec une personne ou avec un livre, qui les rend si importants, qui leur donne l’occasion de révéler leur part de bien. En ce sens, Saint-Exupéry confie :

❝ Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux (…).
– C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.
– (…) Les hommes ont oublié cette vérité, dit le renard. Mais tu ne dois pas l’oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose…2

Ainsi, lire vite n’est pas l’objectif : l’objectif, c’est de lire bien, de comprendre, de réfléchir, de se laisser travailler et transformer par sa lecture. Et le temps que l’on « perd » ou plutôt que l’on se donne pour lire un livre important, c’est ce qui permet de faire entrer les idées importantes du livre dans sa façon de voir et de vivre.

Bien lire, c’est appliquer le principe de Tazkiyah

Parmi les techniques problématiques qui sont diffusées par les coachs en méthode de lecture rapide, il y a, par exemple, ce genre de recommandations : ne pas « lire à voix haute » ou ne pas lire comme si on parlait à quelqu’un. Il faut « éliminez le lecteur imaginaire », car il « oblige notre cerveau à transformer les mots écrits en sons pour essayer de les comprendre, ce qui multiplie le travail demandé au cerveau et ralentit considérablement notre vitesse de lecture ». « Il ne faut pas s’arrêter, il faut toujours avancer dans sa lecture, en évitant les marches arrière » : il faut toujours avancer sans se retourner.

Respecter ces recommandations permet d’aller plus vite, en effet. Mais elles ne permettent pas de progresser dans sa réflexion sur le livre, sur le monde et sur soi-même.

En islam, al-Tazkiyah, ou le travail de purification de soi, passe par le dialogue intérieur régulier. Le dialogue entre Dieu et moi, entre le Coran et moi, entre ce que la sagesse exige de moi et mes désirs, mes intentions, mes projets et mes actions au quotidien. Ce dialogue intérieur, en devenant une pratique régulière, permet de se purifier. Par nature, Dieu a donné à chaque être humain la possibilité de cultiver ce dialogue intérieur pour mieux s’orienter dans la vie, pour se réformer, s’améliorer et pour améliorer son monde. En effet, Dieu a créé l’Homme à partir d’une âme qui peut passer par trois états : nafs al ammârâ bî sû ou l’âme qui pousse à faire le mal ; nafs al-lawwâmâ ou l’âme qui interpelle, qui se fait des reproches à elle-même et qui s’encourage à faire le Bien ; et nafs al-mutma’innâ ou l’âme apaisée, qui a trouvé la paix en mettant en cohérence ses voix intérieures – ses désirs, ses intentions, ses sentiments, ses volontés et ses projets – avec la volonté de Dieu.

Ce dialogue intérieur est tout le contraire de l’expression immédiate de ce que l’on ressent et pense : il impose de vérifier si ses sentiments, ses intentions, ses projets, ses pensées et ses actions sont conformes à la volonté de Dieu, c’est-à-dire à la sagesse. Autrement dit, ce dialogue intérieur dissuade d’aller trop vite dans sa façon de penser et de vivre.

En tant que principe méthodologique appliqué à la lecture, al-Tazkiyah implique de pratiquer un dialogue intérieur entre le livre qu’on lit, la Révélation, le monde et moi-même… Il implique que bien lire, ce n’est pas toujours avancer d’une page à l’autre, mais au contraire, lire, relire et revenir sur ce qu’on a lu, pour réévaluer ce qu’on a lu à la lumière de la vie réelle et du Coran, pour projeter ce qu’on a lu dans sa vie personnelle et collective.

Car souvent, on ne peut pas comprendre un livre à la première lecture. La seconde lecture nous le fait découvrir sous un autre jour. Les très bons livres se lisent plusieurs fois, et chaque lecture révèle quelque chose de nouveau ou de plus profond. Seule la pratique régulière de la lecture et de relecture peut aider à maîtriser une pensée et à remettre de l’ordre à l’intérieur de soi.

Ainsi, on peut lire un texte et en faire une expérience de changement intérieur ou au contraire, on peut le lire en restant à la surface sans se laisser changer.

Utiliser la lecture rapide est utile dans certains cas

D’un côté, on doit traiter un livre comme une personne qu’on écoute avec respect, sans l’écouter à moitié et sans l’interrompre à chaque instant. De l’autre, on doit traiter le livre comme une source de réponses à des questionnements personnels et sociaux et à ce titre, on peut accélérer sa lecture lorsque les réponses ne paraissent pas suffisantes.

En tant que méthode de lecture exploratoire, la lecture rapide est très utile. En effet, elle permet de se faire rapidement une idée sur un sujet ou un auteur, avant de décider de l’approfondir par une lecture plus lente qui donnera davantage de place à l’analyse et à la réflexion.

En fait, la méthode de lecture est plutôt adaptée à un lecteur qui a l’habitude de lire et de rendre compte de ses lectures, comme on peut le faire à l’université ou dans certains métiers. Dans ce cas précis, les méthodes et techniques de lecture rapide permettent de lire pour se faire une idée générale du livre, pour repérer les choses importantes et renoncer au reste.

Mais elles ne doivent pas être généralisées à tous et ne doivent pas être systématisées au point de ne jamais prendre son temps pour approfondir sa lecture. En systématisant la lecture rapide, cela devient une forme de fast food intellectuel, avec tous les effets pervers que l’on peut observer : esprit superficiel, capable de parler de tout, mais incapable d’analyse, de réflexion et de jugement critique. Ce n’est pas ce genre d’esprit qu’un éducateur, un imam, un parent ou un professeur doit former.

Notes

  1. Coran 25:32
  2. Saint-Exupéry, Antoine de (2007), Le petit prince, éd. Gallimard, p. 91-92.

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Minssou

Très belle analyse à la lumière du Coran barakAllah u fikum