Mieux traduire le Coran pour mieux comprendre et agir dans le monde


Dieu a voulu la diversité des cultures et des langues

Dieu crée Adam (paix sur lui) et lui donne le pouvoir de connaître le monde, de nommer les choses et de communiquer. Il répartit la famille humaine en communautés pour que chacune d’elles prenne le soin de connaître les autres, de s’améliorer à leur contact, de s’encourager mutuellement à servir le Vrai, le Bien et le Juste et de résister à l’injustice dont chacune est capable :

« Ô vous les gens ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle et vous avons répartis en peuples et en sociétés pour que vous vous connaissiez mutuellement. Le plus noble d’entre vous, au regard de Dieu, est le plus pieux/vertueux. Dieu sait et Il est bien informé (de ce que vous faites) »

Coran 49 : 13

La diversité des cultures, des langues et des façons de vivre… : tout ceci est voulu par Dieu. C’est même un signe qui montre la complexité et la beauté de tout ce que Dieu a créé :

« Parmi Ses signes, il y a la création des cieux et de la terre, la diversité de vos langues et de vos couleurs. Ce sont vraiment là des signes pour ceux qui savent »

Coran 30 : 22
Dieu a révélé sa sagesse dans une diversité de langues

Dieu a révélé sa sagesse sous la forme de Livres et par l’intermédiaire de prophètes et de messagers qui communiquaient dans la langue de leur peuple :

« Tout prophète que Nous avons envoyé parlait dans la langue de son peuple pour lui exposer clairement le message (…) »

Coran 14 : 4

Ainsi, par exemple, la Torah est révélée en hébreu.

Il n’existe donc pas de langues qui soient davantage « divines » ou « religieuses » que les autres pour transmettre la sagesse de Dieu. La langue arabe n’est pas plus « divine » que l’hébreu ou que toutes les autres langues humaines. Toutes les langues sont un don de Dieu, les moyens par lesquels Il a transmis sa sagesse dans le monde.

Dieu a révélé le Coran dans une langue arabe claire

Le Coran est le Livre révélé par Dieu au dernier prophète Muhammad (paix sur lui). Chaque mot, chaque phrase du Coran est la Parole exacte transmise par Dieu à son prophète. Ce sont exactement les mêmes mots et les mêmes phrases qui ont été appris par cœur par les musulmans qui les récitent dans leurs prières chaque jour. Il n’existe sur terre aucune version du Coran en langue arabe autre que la version commune dont nous disposons tous depuis la naissance de la civilisation islamique. Dieu se charge de préserver le Coran contre l’oubli, l’erreur et la falsification :

« En vérité, c’est Nous qui avons fait descendre le Rappel (le Coran), et c’est Nous qui veillons à le garder intacte »

Coran 15 : 9

Il est révélé dans une langue arabe claire et précise, pour que chacun puisse y accéder et y réfléchir :

« Nous l’avons révélé en langue arabe, afin que vous puissiez le comprendre »

Coran 12 : 2

Ainsi, lire et relire le Coran en langue arabe reste le moyen scientifique d’approfondir, de préciser, de vérifier et de corriger sa compréhension d’une traduction du Coran.

Peut-on comprendre le Coran sans maîtriser la langue arabe ?

Mais comment le Coran peut-il être un Livre de sagesse universelle s’il s’exprime en arabe et si l’humanité ne maîtrise pas cette langue ?

Transmettre la sagesse de Dieu dans la langue du peuple concerné était décisif, autrement chacun pouvait prétexter de ne pas pouvoir comprendre la volonté de Dieu et donc la mettre en pratique :

« Si Nous en avions fait un Coran récité dans une langue autre que l’arabe, ils auraient dit : ‘’Si au moins ses signes avaient été clairement exposés ! Et pourquoi une langue étrangère et un (messager) arabe ?’’ Dis : ‘’Ce Coran est un guide et une source de guérison pour ceux qui en sont convaincus. Quant à ceux qui n’en sont pas convaincus, ils ont les oreilles bouchées et sont aveuglés, comme si on les appelait de très loin »

Coran 41 : 44

Dieu invite toute personne à connaître la culture de l’autre. Apprendre la langue de l’autre et traduire ses œuvres, c’est un moyen de cultiver la connaissance mutuelle (al-ta’âruf). En s’ouvrant au monde, la civilisation islamique a multiplié les traductions du Coran pour faire connaître la sagesse qu’il contient. Elle a également multiplié la traduction des livres de science et de sagesse des autres civilisations. C’est ainsi qu’elle a traduit la philosophie grecque en arabe. D’ailleurs, ces livres avaient été détruits en Europe. L’occident n’a pu les redécouvrir que par l’existence de leurs traductions en arabe.

Bref, pendant des siècles, le monde parlait arabe, comme aujourd’hui, le monde parle anglais. Le monde musulman parlait la plupart des langues existantes dans le monde.

Ainsi, le problème que pose la traduction du Coran n’est pas nouveau. Traduire, ce n’est pas totalement trahir : c’est aussi progresser dans l’effort de compréhension mutuelle. Chacun peut comprendre l’essentiel du Coran, même à travers des traductions.

Mieux traduire pour mieux comprendre le Coran

Mais alors, le contenu du Coran ne risque-t-il pas d’être mal traduit, donc mal compris et donc mal mis en pratique ?

Toute traduction risque l’erreur. Mais l’absence de traduction condamne chacun à ignorer l’autre et à manquer le moyen de découvrir la sagesse commune.

Des millions de livres (de psychologie, de philosophie, de littérature…), sont traduits de l’anglais au français et à l’arabe. Comme le Coran, ces livres parlent du sens de la vie, de l’être humain, du bonheur, de la morale, etc. Tout le monde lit ces livres traduits, alors pourquoi hésiter à lire le Coran traduit ?

D’ailleurs la génération qui a reçu la Révélation du Coran n’a pas connu toutes ces hésitations. En effet, des passages entiers du Coran ont été traduits, avec la permission du prophète, pour en faciliter l’accès. Ainsi, par exemple, le compagnon perse Salmân al-Fârisî (que Dieu soit satisfait de lui) a traduit la première sourate al-Fâtihah afin de permettre aux persans qui s’étaient ouverts à l’islam de réciter leurs prières dans leur langue maternelle, le temps qu’ils apprennent l’arabe[7].

De la même manière, lorsque le prophète a envoyé une lettre à l’empereur byzantin, ce dernier a fait traduire le signe 64 de la sourate 3 âl ‘Imrân qui figurait dans le message envoyé[8].

Enfin, beaucoup de savants estiment que traduire le Coran n’est pas seulement quelque chose de possible ou de permis : c’est même un devoir collectif qui s’inscrit dans l’effort de connaissance mutuelle entre les civilisations et de transmission de la sagesse[9]

Nous avons besoin de progresser dans la traduction du Coran pour progresser dans notre compréhension du Coran. Nous avons besoin de progresser dans notre compréhension du Coran pour progresser dans notre compréhension du monde, pour devenir meilleurs et pour rendre notre monde meilleur.

Il existe différentes traductions du Coran en français. Il est possible de traduire les mêmes mots ou phrases de diverses manières. Mais toutes les façons de traduire ne sont pas justes : il y en a qui sont meilleures que d’autres, car plus fidèles au sens original. Pour améliorer les traductions du Coran, nous proposons quatre axes d’amélioration.

Premièrement, simplifier les termes et les formules compliquées ou de l’ancien français, par des mots et des formules plus courantes et plus simples. Le Coran s’exprime dans une langue arabe simple et accessible aux gens ordinaires. Contrairement à la langue du clergé religieux et des théoriciens, il n’emploie pas de termes techniques et sophistiqués pour créer du mystère et repousser les gens qui ont envie de le comprendre. Sa traduction en français doit donc éviter le langage obscur, trop soutenu ou vieillot. Par exemple, les mots « vil », « turpitude » ou encore la tournure « ne point » ne sont plus utilisés dans la langue courante et ne permettent donc plus de transmettre le sens du Coran.

Deuxièmement, corriger les concepts coraniques qui ont été confondus avec ceux de la culture chrétienne. Par exemple, traduire khalîfah par vicaire ; kâfir ou kufr par les mots « athéisme », « mécréance », « infidélité », « incroyance », « impie » ou « ne pas croire en Dieu » ; traduire al-mu-min par « le croyant » ; traduire al-falah par « le salut » ; traduire al-ghayb par « le mystère »… : toutes ces traductions sont directement influencées par la vision chrétienne et transmettent des significations étrangères au Coran. A titre d’exemple, comment bien traduire le terme al-kufr et ses dérivés tels que kâfir ?[10]

Contrairement aux idées-reçues, al-kufr a dans le Coran trois significations majeures complémentaires. Tout d’abord, c’est le fait de cacher une vérité sur la réalité que l’on connaît pourtant grâce à ce que l’on voit, grâce à une Révélation ou à un prophète passé. C’est le fait de cacher ou de dissimuler une vérité, d’être dans le déni ou de mauvaise foi, par orgueil ou par intérêt, à l’image du diable qui est dans le déni de Dieu, bien qu’il sache parfaitement qu’Il existe et qu’Il gouverne le monde[11]. Ensuite, c’est le fait de ne pas être reconnaissant ou d’être ingrat envers Dieu, malgré toutes les belles choses qu’Il nous donne de jouir dans la vie[12]. Et enfin, c’est le fait de rejeter une fausse idée ou un faux dieu[13] ou encore Dieu l’Unique[14]. En somme, il nous semble plus juste de traduire kâfir par celui qui est de mauvaise foi envers Dieu ou envers les hommes, qui est dans le déni, qui est ingrat envers Dieu, ou encore, qui rejette quelque chose.

Troisièmement, corriger les concepts coraniques qui ont été confondus avec ceux de la culture moderne. Par exemple : le mot « profane », par opposition à « sacré » ou « religieux », apparaît dans beaucoup de traductions mais ne renvoie à aucun mot équivalent dans le Coran. De nos jours, l’idée selon laquelle il existe des choses, des connaissances et des actions « profanes » et d’autres « religieuses », se généralise. Or le Coran ne divise pas le monde en choses « profanes » et « religieuses ». Il ne valorise pas les choses « religieuses » et ne dévalorise pas les choses « profanes ». Bien au contraire, il rappelle que dans le monde, il y a du vrai et du faux, du bien et du mal, du juste et de l’injuste, même dans les choses liées à la religion : dans la vision de la religion, dans la gestion du pouvoir et du savoir par le clergé religieux, dans formalisme religieux, dans la fausse piété, etc. Et il rappelle que la vie est l’affaire même de la religion : c’est dans les situations de la vie quotidienne que la religion peut offrir sa connaissance du monde ainsi que sa sagesse. Il rappelle que l’islam est une voie qui vise à former une personne joyeuse et vertueuse, une société heureuse et juste, une civilisation rayonnante et juste.

Quatrièmement, corriger les concepts coraniques qui ont été confondus avec ceux de la culture musulmane notamment juridique (le fiqh). Par exemple, dans certaines traductions du Coran, le mot al-mahr est inscrit tel quel en phonétique à côté de sa traduction par « dot ».

Le dictionnaire Larousse définit la dot ainsi : les « biens qu’une femme apporte en se mariant » et le « prix payé par le futur mari à la famille de la jeune fille ».

Pourtant, le mot al-mahr n’existe pas dans le Coran qui utilise plutôt deux mots qui, souvent, ne sont pas traduits : al-ajr (récompense) et al-sadaq (don), que l’on peut traduire de façon plus juste par le « cadeau nuptial » ou le « cadeau de mariage » que l’homme doit offrir à sa future femme en signe d’engagement.


[7] Cf. Sarakhsî, al-mabsût, I, 37. Et Farîd Wajdi, al-adillah al-‘ilmîyah ‘alâ jawâz tarjama ma’ânî al-qur’ân ilâ al-lughât al-ajnabîyah (1ère éd.), p58.
[8] Cf. le récit d’Abu Sufyân rapporté dans Sahîh al-Bukhârî (III, p.280-3).
[9] Cf. Al-Sâbûnî, Al-Tibyân, fî ‘ulûm al-qur’ân, p. 232.
[10] Voir le site islamactuel.org qui approfondit la définition des principaux concepts et idées du Coran, en révélant leur signification à partir du Coran.
[11] Coran 38 : 71-74 ; 109 : 1-6.
[12] Coran 14 : 7.
[13] Coran 2 : 256.
[14] Coran 2 : 28.


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