Bannière Islam Actuel

Regard coranique sur André Charlier : Comment éduquer aujourd’hui ?

Dans un contexte où l’éducation française traverse une crise profonde, marquée par la baisse du niveau scolaire, la perte de sens et la montée des inégalités, il devient urgent de repenser la finalité même de notre système éducatif. Peut-on trouver des réponses dans le dialogue entre la sagesse coranique et la pensée d’un pédagogue français du 20e siècle ?

Introduction : Pourquoi regarder l’œuvre d’André Charlier aujourd’hui ?

André Charlier (1895-1971), directeur de l’École des Roches de 1941 jusqu’à sa mort. Pour de nombreux français d’extrême droite, il représente une référence éducative majeure. Certains le voient comme un penseur conservateur, d’autres comme un résistant pendant l’Occupation. Mais qu’en est-il vraiment ?

Si j’étais simplement « intégré » comme on somme les musulmans à l’être, j’aurais dû rejeter Charlier comme une référence « nauséabonde » d’extrême droite. J’aurais été obligé de me positionner à gauche contre la droite, car j’aurais été « intégré » au jeu politique et idéologique dominant. Mais comme j’ai dépassé le stade de l’intégration, je me permets d’accueillir la part de lumière présente dans la pensée et la vie de Charlier, tout en mettant de côté sa part sombre.

Dans cette position de dépassement de « l’intégration » française, je peux apprendre des autres, être critique et apporter parfois un regard plus juste. C’est ce que je vais tenter de faire dans cet article, en interrogeant l’œuvre de Charlier à la lumière des enseignements coraniques.

L’éducation n’est pas un simple acte de transmission de connaissances. Charlier était profondément soucieux d’éduquer le caractère de ses élèves, allant bien au-delà de la seule transmission scolaire. Son recueil, Lettres aux Capitaines, adressé aux responsables d’équipes d’élèves, expose une vision éducative qui résonne fortement aujourd’hui. Selon le Coran, elle vise la purification du regard à trois niveaux : intellectuel (connaissance de la vérité), moral (connaissance du bien et du mal), et spirituel (conformité de l’âme au bien). Le prophète Jésus, paix sur lui, rappelait : « Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? »

Cette exigence de purification du regard nous permet d’interroger l’œuvre de Charlier avec justice, en reconnaissant ses apports tout en identifiant ses limites. L’analyse révèle des convergences profondes avec les enseignements coraniques, ancrées dans l’idée d’une sagesse universelle inscrite dans la nature humaine et révélée par Dieu. Ces échos se manifestent dans l’importance accordée à la vertu (التقوى – al-taqwā), à l’excellence morale (الإحسان – al-iḥsān et الأخلاق – al-akhlāq), à la communauté (الأمة – al-ummah), et à la connaissance de la vérité (العلم – al-ʿilm).

Interroger Charlier sous un « regard coranique » nous permet de redécouvrir le sens profond de l’éducation à une époque où celle-ci est souvent réduite à une simple préparation au marché du travail.

I. Quelle est la vraie finalité de l’éducation ?

L’éducation française est-elle devenue une idolâtrie de la réussite ?

En 21e siècle, l’éducation française se trouve dans une impasse. Les classements internationaux (PISA) montrent une dégradation continue du niveau des élèves français. Mais plus grave encore, l’éducation s’est réduite à une course effrénée vers la « réussite » : obtenir de bonnes notes, intégrer les bonnes écoles, décrocher un bon emploi.

Cette obsession de la réussite cache un vide profond. Réussir quoi ? Comment ? Pourquoi ? Ces questions essentielles sont rarement posées. Charlier critiquait déjà cette dynamique dans les années 1960, déplorant que l’éducation soit devenue un simple moyen où la « réussite » est élevée au rang de fin en soi. Les diplômes, les notes, et les classements deviennent des objectifs ultimes, déconnectés de toute réflexion sur le sens et la direction de la vie.

Cette course effrénée produit des individus techniquement compétents mais souvent moralement désorientés, intellectuellement formés mais déformés au point de ne pas comprendre la complexité du monde, et spirituellement perdus dans la confusion.

Le Coran éveille la conscience au sujet de cette forme d’idolâtrie subtile. Lorsqu’un simple moyen (diplôme, reconnaissance sociale, succès matériel) est érigé en finalité absolue, il devient un faux dieu :

« As-tu vu celui qui a pris sa passion pour divinité ? Est-ce à toi d’être un garant pour lui ? » Coran 25 : 43.

أَرَأَيْتَ مَنِ اتَّخَذَ إِلَٰهَهُ هَوَاهُ أَفَأَنتَ تَكُونُ عَلَيْهِ وَكِيلًا

Cette idolâtrie de la réussite produit des effets dévastateurs : stress, compétition superficielle, perte du sens du bien et du mal, et de la communauté. Les jeunes sont poussés à sacrifier leur santé, leur famille, leurs amis et leurs principes moraux pour « réussir ».

Pourquoi l’éducation utilitariste nous rend-elle petits ?

Charlier refuse que l’éducation se réduise à former des adultes capables uniquement de s’adapter au marché économique. Cette vision utilitariste repose sur une conception appauvrie de l’être humain, le réduisant à sa fonction de producteur et de consommateur, oubliant ses dimensions intellectuelles, spirituelles, morales, esthétiques et sociales.

Cette idolâtrie de la réussite produit des êtres superficiels, incapables d’engagement véritable. Charlier déplore la stérilité de cette génération :

« Vous êtes entourés de camarades qui ne vivent que de mots, parce que c’est là le malheur de cette génération : travail, culture, effort de l’esprit, prière, charité, ne sont pour eux que des mots. Voilà pourquoi nous les voyons d’année en année si pareils à eux-mêmes, adhérant des lèvres et non du cœur, incapables de s’arracher à une médiocrité où ils se sentent parfaitement à l’aise. »

Sa critique vise autant le savoir stérile que la spiritualité superficielle. Une éducation authentique doit transformer la vie, non seulement donner à son esprit un maquillage pour briller en société. Le fossé entre les paroles et les actes, entre les idéaux proclamés (justice, engagement) et la réalité vécue, est une maladie criante aujourd’hui.

Le Coran éveille la conscience humaine pour la purifier de cette hypocrisie :

« Ô vous qui avez adhéré à la voie de Dieu, pourquoi dites-vous ce que vous ne faites pas ? C’est une grande abomination auprès de Dieu que de dire ce que vous ne faites pas. » Coran 61 : 2-3

يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا لِمَ تَقُولُونَ مَا لَا تَفْعَلُونَ كَبُرَ مَقْتًا عِندَ اللَّهِ أَن تَقُولُوا مَا لَا تَفْعَلُونَ

L’éducation digne de ce nom doit viser la transformation intérieure de la personne, et non l’accumulation de titres. L’être humain est un être complet qui a besoin de connaître le sens de la vie, la vérité, la réalité, le bien et le mal, et de vivre en conséquence. Le problème de l’éducation moderne est qu’elle trahit sa vocation véritable en servant l’idole de la réussite matérielle.

II. Que signifie « former l’Homme » ?

Quelle est la vocation de l’être humain selon le Coran ?

Pour Charlier, la finalité de l’éducation n’est pas de former des personnes intelligentes et cultivées destinées à de hauts postes. Son but était de « former l’Homme », c’est-à-dire des individus capables de mettre leur intelligence et leur cœur au service d’une cause morale collective : participer à la construction d’un monde plus juste :

« Ce que je vous demande, ce n’est pas de réussir dans le monde, mais de réussir malgré le monde.

De ne pas vous contenter d’un diplôme, d’un poste, d’un salaire, mais de porter en vous une exigence plus haute : celle de refaire une civilisation.

Si vous sortez d’ici pour devenir des bourgeois honnêtes mais sans âme, alors tout cela n’aura servi à rien. » Pierre de Bizemont, Lettre à un jeune Rocheux, 1980 (archives École des Roches, fonds Maslacq).

L’école des Roches est une école d’élites. Et pourtant, dit Charlier aux étudiants, si le seul résultat de leur éducation, c’est de réussir leur carrière professionnelle, alors il aura le sentiment d’avoir raté sa mission. Car ce qu’il cherche à faire est plus grand que cela :

« Elle (l’école des Roches) veut former des caractères forts et sociables, en même temps que des cœurs sachant aller au-devant des exigences de la justice et aimer leur prochain par amour pour Dieu. »

Cette vision résonne profondément avec la conception coranique de l’être humain comme khalīfah (خليفة), vice-gérant de Dieu sur terre. Le Coran présente cette fonction de vice-gérance comme une charge lourde de responsabilité :

« Lorsque ton Seigneur a annoncé aux anges : ‘Je vais mettre sur la terre un Khalīfah [successeur, vice-gérant].’ Ils ont dit : ‘Vas-Tu y mettre un être qui y répandra la corruption et le sang… ?’ Il leur a répondu : ‘En vérité, Je sais ce que vous ne savez pas !’ » Coran 2 : 30.

وَإِذْ قَالَ رَبُّكَ لِلْمَلَائِكَةِ إِنِّي جَاعِلٌ فِي الْأَرْضِ خَلِيفَةً قَالُوا أَتَجْعَلُ فِيهَا مَن يُفْسِدُ فِيهَا وَيَسْفِكُ الدِّمَاءَ وَنَحْنُ نُسَبِّحُ بِحَمْدِكَ وَنُقَدِّسُ لَكَ قَالَ إِنِّي أَعْلَمُ مَا لَا تَعْلَمُونَ

Ce récit fondateur montre que l’être humain, doté de liberté et de responsabilité, peut conduire à la corruption mais possède aussi le pouvoir de faire le bien et d’instaurer un monde juste. Il n’est pas un simple spectateur, ni un simple animal qui subit son instinct et ses désirs, mais un acteur responsable, créé pour discerner le bien du mal et choisir le premier.

Si l’être humain est créé comme vice-gérant, l’éducation doit avoir pour but de le préparer à assumer cette responsabilité.

Charlier définit l’éducation comme :

« L’apprentissage de la vie est une tout autre chose. Il convient de l’insérer dans le monde la réalité de notre propre âme de telle manière que notre âme y puisse prendre sa plus haute qualité, quelle que soit d’ailleurs la médiocrité de ce monde. »

Comment purifier son âme pour devenir meilleur ?

L’éducation doit former une personne capable et désireuse de devenir moralement meilleure et, par conséquent, de rendre son monde meilleur. L’effort pour se purifier, se réformer et s’améliorer (التزكية – al-tazkiyah) est une responsabilité individuelle et sociale.

La tazkiyah est un effort constant et méthodique pour cultiver les vertus et éliminer les vices : hypocrisie, orgueil, lâcheté, égoïsme. Le Coran lie directement la vraie réussite (al-falāḥ) à la purification de l’âme :

« En vérité, réussit celui qui purifie son âme, et celui qui la corrompt est perdu. » Coran 91 : 9-10.

وَالشَّمْسِ وَضُحَاهَا وَالْقَمَرِ إِذَا تَلَاهَا وَالنَّهَارِ إِذَا جَلَّاهَا وَاللَّيْلِ إِذَا يَغْشَاهَا وَالسَّمَاءِ وَمَا بَنَاهَا وَالْأَرْضِ وَمَا طَحَاهَا وَنَفْسٍ وَمَا سَوَّاهَا فَأَلْهَمَهَا فُجُورَهَا وَتَقْوَاهَا قَدْ أَفْلَحَ مَن زَكَّاهَا وَقَدْ خَابَ مَن دَسَّاهَا

Cette purification est la condition même de la liberté et de la responsabilité morale. La réussite dont parle le Coran n’est ni la réussite matérielle, ni le « développement personnel » individualiste, mais la purification intellectuelle, spirituelle et morale.

Pour éviter de tomber dans une réussite purement individualiste, le Coran insiste sur la dimension collective et sociale de la réussite : participer à la formation d’une communauté vertueuse (الأمة – al-ummah). La mission collective est triple : inviter au bien (al-khayr), ordonner le convenable (al-maʿrūf), et empêcher le mal (al-munkar) :

« Que soit issue de vous une société universelle qui invite au bien, ordonne le convenable et empêche le mal. Car ce seront eux qui réussiront. » Coran 3 : 104.

وَلْتَكُن مِّنكُمْ أُمَّةٌ يَدْعُونَ إِلَى الْخَيْرِ وَيَأْمُرُونَ بِالْمَعْرُوفِ وَيَنْهَوْنَ عَنِ الْمُنكَرِ وَأُولَٰئِكَ هُمُ الْمُفْلِحُونَ

Cette responsabilité collective est un engagement social et politique qui implique de contribuer activement à l’amélioration de la société. C’est exactement ce que visait Charlier, qui cherchait à former des hommes capables de prendre leurs responsabilités dans le monde, d’identifier les injustices et de lutter contre elles.

L’éducation doit donc développer deux dimensions inséparables : la capacité à s’améliorer soi-même et la participation à l’amélioration du monde.

III. Charlier a-t-il été cohérent dans son engagement pour la justice ?

Pourquoi examiner les contradictions d’un éducateur ?

Une lecture coranique exige un examen honnête des limites. André Charlier a fait preuve d’un courage remarquable pendant l’Occupation allemande : il a protégé des élèves juifs et refusé de compromettre ses principes éducatifs. Il illustrait parfaitement son enseignement : ne jamais mettre son intelligence au service d’un système injuste.

Cependant, une question se pose concernant la colonisation française de l’Algérie. La colonisation française de l’Algérie (1954-1962), marquée par l’extermination et l’oppression d’un peuple, constituait une injustice majeure. Pourtant, les écrits disponibles ne contiennent aucune trace d’une prise de position claire de Charlier contre le colonialisme ou d’une dénonciation des atrocités commises au nom de « la France ».

Ce silence est d’autant plus significatif que Charlier n’était pas un éducateur indifférent aux événements politiques et moraux de son époque. Ce silence pourrait s’expliquer par le poids du nationalisme français, un aveuglement culturel. Tout se passe comme s’il était impossible de voir autre chose que « les aspects positifs de la colonisation », alors même que le drame que les français faisaient subir aux algériens pouvait être constaté. En fait, il y a comme une intoxication collective, celle de toute une époque, qui empêche de voir la réalité. L’éducation doit s’interroger sur ce genre d’intoxication collective : comment ne pas tomber dans « le double standard » et « le double discours » ? Comment éduquer pour ne pas la subir et pour progresser dans le discernement du bien et du mal ?

Le Coran : quelle initiation au discernement moral en situation d’intoxication collective ?

Le Coran met en garde précisément contre cette incohérence, cette tendance à appliquer les principes de manière sélective, à confondre le bien avec le racisme, le nationalisme, l’ethnocentrisme et le communautarisme. Dieu invite l’être humain à instaurer la justice universelle qui ne dépend pas de l’identité de la victime ou du coupable.

« Ô vous qui êtes engagés sur la voie de Dieu ! Quand vous témoignez devant Dieu, tenez-vous-en fermement à la justice, même si le témoignage risque de se retourner contre vous, ou contre vos pères et mères et contre vos proches ; et peu importe que l’affaire concerne un riche ou un pauvre, car Dieu sera pour l’un comme pour l’autre un meilleur protecteur. Ne vous laissez pas entraîner par la passion, au risque d’être injustes. Si vous portez un faux témoignage ou si vous vous abstenez de témoigner, sachez que Dieu est bien informé de ce que vous faites. » Coran 4 : 135.

يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا كُونُوا قَوَّامِينَ بِالْقِسْطِ شُهَدَاءَ لِلَّهِ وَلَوْ عَلَىٰ أَنفُسِكُمْ أَوِ الْوَالِدَيْنِ وَالْأَقْرَبِينَ ۚ إِن يَكُنْ غَنِيًّا أَوْ فَقِيرًا فَاللَّهُ أَوْلَىٰ بِهِمَا ۖ فَلَا تَتَّبِعُوا الْهَوَىٰ أَن تَعْدِلُوا ۚ وَإِن تَلْوُوا أَوْ تُعْرِضُوا فَإِنَّ اللَّهَ كَانَ بِمَا تَعْمَلُونَ خَبِيرًا

Ce principe fondamental est renforcé par un autre signe du Coran qui exige la justice même envers les ennemis :

« Ô vous qui êtes engagés sur la voie de Dieu ! Soyez droits devant Dieu, et témoignez selon la justice. Que la haine envers un peuple ne vous incite pas à vous montrer injustes. Soyez justes ! Vous vous rapprocherez ainsi de la piété. Craignez Dieu ! Dieu est parfaitement informé de ce que vous faites. » Coran 5 : 8.

يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا كُونُوا قَوَّامِينَ لِلَّهِ شُهَدَاءَ بِالْقِسْطِ ۖ وَلَا يَجْرِمَنَّكُمْ شَنَآنُ قَوْمٍ عَلَىٰ أَلَّا تَعْدِلُوا اعْدِلُوا هُوَ أَقْرَبُ لِلتَّقْوَىٰ ۖ وَاتَّقُوا اللَّهَ ۚ إِنَّ اللَّهَ خَبِيرٌ بِمَا تَعْمَلُونَ

Cette exigence morale est la seule à pouvoir purifier la tendance à confondre le bien avec le racisme, le nationalisme, l’ethnocentrisme et le communautarisme. C’est la seule à pouvoir redonner à l’homme le pouvoir de se libérer de l’intoxication collective pour réaffirmer le bien, envers et contre tous.

Appliquée au cas de Charlier, la cohérence morale aurait exigé qu’il s’oppose à l’occupation française de l’Algérie avec la même rigueur qu’il s’est opposé à l’occupation allemande, car toutes deux étaient de grandes injustices.

Ce jugement ne vise pas à disqualifier l’œuvre de Charlier, mais à souligner que même un personnage aussi exemplaire, aussi soucieux de vérité et de vertu, peut avoir des angles morts moraux, souvent liés à l’appartenance nationale ou de classe. Le nationalisme, en particulier, peut transformer l’amour légitime de la patrie en un parti pris qui empêche de voir les crimes commis en son nom.

Le prophète Muhammad, paix sur lui, a enseigné comment être loyal et solidaire sans tomber dans le conformisme qui pousse au crime contre le dominé :

« Aide ton frère, qu’il soit oppresseur ou opprimé. » Les compagnons étonnés, ont demandé : « Ô messager de Dieu, nous comprenons comment aider l’opprimé, mais comment aider l’oppresseur ? » Il leur a répondu : « En l’empêchant de commettre l’oppression. » Ṣaḥīḥ al-Bukhārī, Kitāb al-Maẓālim, hadith n° 2444.

انْصُرْ أَخَاكَ ظَالِمًا أَوْ مَظْلُومًا قَالُوا يَا رَسُولَ اللَّهِ هَذَا نَنْصُرُهُ مَظْلُومًا فَكَيْفَ نَنْصُرُهُ ظَالِمًا قَالَ تَأْخُذُ فَوْقَ يَدَيْهِ

La vraie solidarité est l’effort pour ramener l’autre vers le bien ; aimer son pays, c’est vouloir qu’il soit juste et donc dénoncer ses injustices. Être solidaire de sa famille, de sa communauté ou de son pays, même dans le mal, c’est manquer de discernement et participer à l’injustice sur terre. La seule forme de solidarité légitime dans ce cas, c’est la solidarité critique qui consiste à rappeler le bien et à empêcher le mal des siens.

Reconnaître les limites de Charlier nous rappelle la nécessité de vigilance constante contre nos propres biais. Une éducation intégrale doit nous aider à voir les « poutres dans nos propres yeux ».

IV. Comment dépasser la médiocrité de notre époque ?

Qu’est-ce que la médiocrité selon Charlier et le Coran ?

En ce début de 21e siècle, notre époque souffre d’une médiocrité particulière : l’insouciance, la passivité, l’indifférence à la vérité. Charlier déplorait déjà « l’horreur de la médiocrité » : l’acceptation passive de l’injustice, le conformisme, la paresse spirituelle.

Le Coran nous donne à voir la médiocrité sous la forme de l’insouciance (الغفلة – al-ghaflah), de la passivité, de l’indifférence ou de la haine de la vérité. Elle peut aussi se présenter sous la forme de la tendance à suivre une opinion sans preuve (الظن – al-ẓann), au lieu de la vérité (الحق – al-ḥaqq) :

« La plupart des gens ne suivent que l’opinion non-fondée [al-ẓann]. Mais l’opinion non-fondée [al-ẓann] ne sert à rien contre la vérité ! Dieu sait parfaitement ce qu’ils font. » Coran 10 : 36.

وَمَا يَتَّبِعُ أَكْثَرُهُمْ إِلَّا ظَنًّا ۚ إِنَّ الظَّنَّ لَا يُغْنِي مِنَ الْحَقِّ شَيْئًا ۚ إِنَّ اللَّهَ عَلِيمٌ بِمَا يَفْعَلُونَ

Le problème est que les gens non seulement ignorent la vérité, mais la détestent activement, car elle exige de changer et de remettre en question les habitudes confortables :

« Nous sommes venus à vous avec la vérité, mais la plupart d’entre vous ont de l’aversion pour la vérité. »

لَقَدْ جِئْنَـٰكُم بِٱلْحَقِّ وَلَـٰكِنَّ أَكْثَرَكُمْ لِلْحَقِّ كَـٰرِهُونَ

L’insouciant est celui qui démissionne de sa responsabilité de khalīfah.

Le Coran exige de l’être humain d’agir et de vivre avec dignité, au lieu de s’abandonner à un comportement plus bas que l’animal :

« Aussi nous faisons demeurer en enfer un grand nombre de jinns et d’êtres humains. Ils ont des cœurs mais ne comprennent pas. Ils ont des yeux mais ne voient pas. Ils ont des oreilles mais n’entendent pas. Ceux-là sont comme les bestiaux, et même plus égarés encore. Tels sont les insouciants. » Coran 7 : 179.

وَلَقَدْ ذَرَأْنَا لِجَهَنَّمَ كَثِيرًا مِّنَ الْجِنِّ وَالْإِنسِ ۖ لَهُمْ قُلُوبٌ لَّا يَفْقَهُونَ بِهَا وَلَهُمْ أَعْيُنٌ لَّا يُبْصِرُونَ بِهَا وَلَهُمْ آذَانٌ لَّا يَسْمَعُونَ بِهَا ۚ أُولَٰئِكَ كَالْأَنْعَامِ بَلْ هُمْ أَضَلُّ ۚ أُولَٰئِكَ هُمُ الْغَافِلُونَ

L’être humain trahit sa dignité de vice-gérant lorsqu’il choisit délibérément l’insouciance ou l’indifférence face à l’injustice de son époque. Dans la culture moderne qui valorise le « tout positif », la critique constructive est souvent qualifiée de « violence ». Cette culture empêche le progrès moral, car on grandit à travers les défis et les critiques, non dans le conformisme et l’intoxication collective.

Comment s’arracher à cette médiocrité ?

Charlier, vrai éducateur, n’hésite pas à nommer les faiblesses pour aider à les surmonter. Il déplore le fossé entre les ambitions proclamées et les efforts réels, caractéristique de la médiocrité contemporaine. Cette paresse spirituelle mène au report de la « vraie vie » à plus tard, en se laissant vivre dans la « salle d’attente » de la vie.

La médiocrité est aussi liée à la fuite de l’effort et à la recherche exclusive du plaisir. Or, l’apprentissage de tout art ou science nécessite une discipline et des exercices rebutants. Charlier interroge :

« Vous devez donc avant tout savoir vous contraindre à cette discipline élémentaire, et, si vous en êtes incapables, comment pourriez-vous devenir des hommes de caractère ? »

Le Coran nous rappelle que la voie du bien est souvent la voie de la difficulté que l’on doit traverser avant de pouvoir y arriver :

« Ne l’avons-Nous pas guidé vers les deux voies [du bien et du mal]. Or, il ne s’engage pas dans la voie difficile [la voie du bien] ! Et qui te dira ce qu’est la voie difficile ? C’est de libérer un captif, ou nourrir, par un jour de famine, un proche parent orphelin, ou un pauvre vivant dans la misère. » Coran 90 : 10-16.

وَهَدَيْنَـٰهُ ٱلنَّجْدَيْنِ

فَلَا ٱقْتَحَمَ ٱلْعَقَبَةَ

وَمَآ أَدْرَىٰكَ مَا ٱلْعَقَبَةُ

فَكُّ رَقَبَةٍ

أَوْ إِطْعَـٰمٌۭ فِى يَوْمٍۢ ذِى مَسْغَبَةٍۢ

يَتِيمًۭا ذَا مَقْرَبَةٍ

أَوْ مِسْكِينًۭا ذَا مَتْرَبَةٍۢ

S’arracher à la médiocrité, c’est donc accepter de s’engager sur la voie de la difficulté pour arriver au bien supérieur. C’est le désir de plaire à Dieu, donc de faire le bien, qui donne la force de s’arracher à la médiocrité facile, à la superficialité facile, au mal facile.

Pour Charlier, se libérer de la prison de l’ego et se donner pour les autres est l’essence de la maturité humaine : « Quelle liberté cela donne de n’avoir plus à penser à soi ! »

Charlier combat la résignation face à un monde injuste, refusant l’excuse facile que le monde est médiocre et qu’on ne peut rien y faire. Le changement commence par une adhésion intérieure, une conquête de sa volonté personnelle :

« Les seules grandes révolutions, celles qui ont eu dans le monde le retentissement le plus large et le plus profond, sont les révolutions intérieures. La vôtre est commencée : ayez le courage de la faire jusqu’au bout. »

Il rappelle en ce sens :

« Toutes les grandes choses du monde se sont passées à l’origine dans le secret de quelques âmes et parfois d’une seule ». Charlier confie une mission immense à ses élèves : « C’est vous qui pouvez refaire un monde pur. »

La transformation du milieu commence par la transformation de soi, y compris dans les occupations banales de chaque jour.

V. Quelles capacités essentielles développer ?

Pourquoi viser l’excellence et la maîtrise de soi ?

Devenir un Homme selon Charlier, c’est avoir une volonté forte, une grande capacité de penser, et la faculté de réaliser ses intentions. Il faut choisir ce qui est le plus haut. Charlier va jusqu’à affirmer : « Nous avons le devoir d’être des saints. »

Cette aspiration à la sainteté rejoint la conception coranique de la taqwā (التقوى), la vertu de vivre constamment en conscience de Dieu et de sa responsabilité :

« Ô vous qui êtes engagés sur la voie de Dieu ! Répondez à l’Invitation de Dieu et de son prophète lorsqu’ils vous invitent à la vraie vie. Sachez qu’en vérité Dieu se place entre l’homme et son cœur, et que c’est devant Lui que vous serez tous rassemblés. » Coran 8 : 24.

يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا اسْتَجِيبُوا لِلَّهِ وَلِلرَّسُولِ إِذَا دَعَاكُمْ لِمَا يُحْيِيكُمْ ۖ

وَاعْلَمُوا أَنَّ اللَّهَ يَحُولُ بَيْنَ الْمَرْءِ وَقَلْبِهِ وَأَنَّهُ إِلَيْهِ تُحْشَرُونَ

L’éducation doit aider l’homme à mener son grand jihād intérieur, la lutte contre le mal en soi, ses doutes et ses instincts bas, pour plier sa volonté à la vertu.

Charlier insiste sur la nécessité de l’audace et de la générosité, déplorant que l’homme soit souvent sur la défensive, cherchant à justifier son confort et sa petitesse. Le plus difficile est d’accepter de ne pas ressembler à la moyenne des hommes, qui se nivelle par le bas : « Ayez la volonté de répondre à l’appel le plus haut. »

Cette invitation résonne avec l’appel coranique à l’iḥsān (الإحسان), l’excellence dans toutes les dimensions de la vie. Le prophète Muhammad, paix sur lui, invite l’être humain à la grandeur :

« Al-iḥsān (l’excellence morale) consiste à adorer Dieu comme si tu le voyais, car si tu ne Le vois pas, Lui te voit. » Ḥadīth rapporté dans Ṣaḥīḥ al-Bukhārī, ḥadīth n°48.

Pour Charlier, vivre selon ses principes devient simple lorsqu’on est authentiquement soi-même :

« Osez faire passer dans vos actes et dans vos paroles le meilleur de vous-mêmes. Simplement, sans forcer, que ce soit aussi naturel que la respiration. Vous verrez comme c’est facile, vous verrez comme c’est simple de ne plus ressembler à tout le monde, car il n’y a qu’à être vraiment soi. »

Ici, il ne faut pas se tromper « être vraiment soi » n’est pas à confondre avec les conseils des coachs en développement personnel qui nous répètent l’obligation d’ « être soi-même ». Pour l’islam, comme pour Charlier, il s’agit d’être la part de lumière qui est en soi-même, pas de laisser sa part de médiocrité s’exprimer sans gêne. C’est être le serviteur de Dieu, en toute modestie, avec détermination. C’est tout l’inverse qui est encouragé par le développement personnel pour qui « être soi-même », c’est vider sa poubelle intérieure sans faire de tri sélectif.

Comment cultiver le goût de la vérité ?

La deuxième capacité essentielle est le goût de la vérité et du réel. Charlier place la quête de vérité au cœur de l’existence :

« Toutes les luttes humaines se ramènent au fond au grand combat que tout homme doit livrer pour la vérité. »

L’éducation doit apprendre à penser véritablement, et non seulement à entasser des notions. Dans la Charte du Capitaine, Charlier place au centre de l’exemple à donner « la recherche sincère et ardente de la vérité ».

L’insensibilité et l’incapacité d’admirer proviennent de la paresse intellectuelle qui empêche d’atteindre la profondeur des choses. Charlier met en garde :

« Gardez-vous dans votre impatience d’être des hommes d’action, de négliger d’apprendre à penser, parce que vous resterez à jamais incomplets. »

L’action sans amour de la vérité, sans réflexion complexe et critique, est inefficace et peut être même dangereuse.

La médiocrité est l’incapacité à passer des mots à la réalité. Ce manque de sens du réel conduit aux échecs pratiques. Le sens du réel, c’est le sens de l’observation, du détail, de l’expérimentation, du contexte et de la précision :

« Comme on apprend à lire un texte, il faut que vous appreniez à lire le texte de la vie. »

Le monde moderne a perdu le goût de la Vérité (al-ḥaqq), substituant à la réalité des images mensongères (IA, médias, réseaux sociaux, désinformation), coupant l’homme du réel. Charlier considère que la plus grande charité que l’on puisse faire est de rendre à l’homme le goût de la vérité.

Le Coran ne cesse de répéter l’invitation à rechercher la vérité, à observer le monde, à méditer sur l’univers créé et sur le Livre révélé (التدبر – al-tadabbur) :

« Nous leur montrerons Nos signes dans l’univers et en eux-mêmes, jusqu’à ce qu’ils leur apparaissent avec évidence que ceci est la vérité. Ne suffit-il pas que ton Seigneur soit témoin de toute chose ? » Coran 41 : 53.

سَنُرِيهِمْ آيَاتِنَا فِي الْآفَاقِ وَفِي أَنفُسِهِمْ حَتَّىٰ يَتَبَيَّنَ لَهُمْ أَنَّهُ الْحَقُّ ۗ أَوَلَمْ يَكْفِ بِرَبِّكَ أَنَّهُ عَلَىٰ كُلِّ شَيْءٍ شَهِيدٌ

« Et ne suis pas ce dont tu n’as aucune connaissance. L’ouïe, la vue et le cœur : sur tout cela, en vérité, on sera interrogé. » Coran 17 : 36.

وَلَا تَقْفُ مَا لَيْسَ لَكَ بِهِ عِلْمٌ ۚ إِنَّ السَّمْعَ وَالْبَصَرَ وَالْفُؤَادَ كُلُّ أُولَٰئِكَ كَانَ عَنْهُ مَسْئُولًا

« Ne méditent-ils pas sur le Coran ? Ou bien leurs cœurs sont-ils complètement verrouillés ? » Coran 47 : 24.

أَفَلَا يَتَدَبَّرُونَ الْقُرْآنَ أَمْ عَلَىٰ قُلُوبٍ أَقْفَالُهَا

La vérité, (al-ḥaqq – الحق), n’est pas toujours facile d’accès : elle exige un grand effort. Elle exige aussi beaucoup d’humilité (التواضع – tawāḍuʿ) pour la recevoir à travers les signes de la création et de la Révélation. Sans elle, rien de bon ne peut se réaliser.

Pour cultiver le goût de la vérité, le Coran invite à rechercher les signes, à lire, à réfléchir et à s’entourer de personnes également animées du goût de la vérité.

Que signifie avoir le sens du devoir et des responsabilités ?

La troisième capacité à développer est le sens du devoir et des responsabilités. Notre époque encourage l’évitement de la responsabilité voire l’irresponsabilité. Elle fait du confort et du plaisir les valeurs directrices, déconnectant le bien-être du devoir et du service.

Le sens du devoir est une valeur directrice fondamentale. Charlier insiste sur le fait que l’ordre collectif et la discipline personnelle est la condition essentielle de toute action efficace.

Cette exigence trouve sa source dans la responsabilité du vice-gérant (خليفة – khalīfah). Le prophète, paix sur lui, a dit :

« Chacun d’entre vous est un berger et chacun d’entre vous sera interrogé concernant son troupeau. Le dirigeant est un berger, l’homme est un berger pour les gens de sa maison, la femme est une bergère pour la maison de son époux et pour ses enfants. Ainsi chacun d’entre vous est un berger et chacun d’entre vous sera interrogé concernant son troupeau. » Ḥadīth rapporté dans Ṣaḥīḥ al-Bukhārī, ḥadīth n°5200 et par Muslim dans son Ṣaḥīḥ n°1829.

Charlier confie à ses capitaines une mission spirituelle claire :

« Il faut que tous, vous vous sentiez responsables des âmes. À tous ceux qui vous sont confiés il faut que vous donniez le goût des choses d’En Haut. »

Charlier remet à l’honneur l’obéissance, non pas la soumission aveugle, mais la capacité à se soumettre volontairement à une autorité légitime :

« L’obéissance est une grande vertu, et peut-être la plus méconnue de nos jours ».

L’éducation est vécue comme une exigence constante des devoirs quotidiens, par lesquels Dieu nous parle.

Enfin, l’éducateur doit incarner l’exemplarité :

« Pour montrer la route à suivre, il vaut mieux marcher soi-même que parler. »

VI. Quelles leçons pour éduquer aujourd’hui ?

Comment éveiller plutôt qu’instruire ?

Charlier refuse une vision centrée sur les performances scolaires. Il invite à l’action : « Hâtez-vous de vous réveiller et de réveiller les autres. Attendre n’est jamais une solution. Le monde est en train de mourir d’attendre qu’il se passe quelque chose. »

Le rôle de l’éducateur est de donner une âme, d’éveiller l’intériorité :

« Un animateur est celui qui donne une âme. Cela vous paraît très grand et très mystérieux, et pourtant c’est votre tâche. »

Être un éducateur, un compagnon ou encore un grand frère éducatif est défini comme un service :

« Être capitaine, c’est simplement se mettre au service de la vérité et par conséquent l’introduire dans sa vie jusqu’à en vivre pleinement et à la faire partager. »

L’éducation ne prend que si le cœur est engagé :

« La vérité ne prend que sur un cœur qui la désire. »

L’éducateur doit donc susciter le désir de vérité.

Pourquoi viser la profondeur et l’exigence ?

Charlier insiste sur la profondeur :

« Il faut toujours prendre les problèmes par en haut : c’est la seule façon de les résoudre. »

Les principes profonds orientent l’existence, contrairement aux règles superficielles.

Il refuse l’opposition entre l’idéal et le réalisme :

« Avoir les deux pieds sur terre n’empêche pas de regarder très haut. »

Cette dialectique entre enracinement et élévation, entre sens du concret et sens des idées est essentielle. Car sans idéalisme, le réalisme est petit ; sans réalisme, l’idéalisme est incapable.

L’éducation doit préparer à faire les grands choix qui vont orienter sa vie, les choix de vision du monde et de mode de vie :

« Le métier de capitaine vous oblige à des choix indispensables, notamment des choix spirituels. »

Les études formelles sont insuffisantes pour éclairer le chemin de la vie.

Le don de soi suppose un souci de perfection personnelle :

« Le don de soi suppose un grand souci de perfection. Tout le reste découle de là. »

L’éducateur ne découvre ses richesses qu’en les partageant : « Il faut donner ses trésors pour s’apercevoir qu’on les possède. »

Quel diagnostic pour le monde moderne ?

Charlier diagnostique le véritable drame moderne :

« Le véritable drame du monde moderne, c’est l’absence d’âme. L’homme ne sait plus pourquoi il vit. »

Face à cela, il lance un appel à la liberté intérieure :

« Soyez des hommes libres ! Être libre, cela suppose qu’on a choisi une fois pour toutes de ne jamais se reprendre, de ne pas tricher avec la Vérité, de la préférer, quoi qu’il arrive, à tous les honneurs, à tous les profits, à tous les conforts. »

Ce choix radical de la vérité, de la justice, de l’excellence morale est ce qui définit l’homme libre. C’est ce que le Coran appelle la soumission volontaire à Dieu (الإسلام – al-islām), qui est paradoxalement la vraie liberté.

Conclusion : Vers une éducation intégrale pour notre temps

En ce début de 21e siècle, face aux défis éducatifs contemporains – crise de l’école française, montée des inégalités, perte de sens, surinvestissement dans la technologie au détriment de l’humain, racisme – le dialogue entre la vision coranique et la pensée de Charlier offre des pistes précieuses.

La vision islamique de l’éducation ne peut se réduire à l’ajout de matières religieuses ou d’aspects rituels à un modèle scolaire utilitariste existant. L’islam est une voie vers la sagesse qui permet de repenser l’éducation de fond en comble.

La finalité que l’on retrouve en écho chez Charlier est double : former une personne capable et désireuse de servir Dieu, ce qui se traduit par l’impératif de s’améliorer continuellement et de rendre son monde meilleur. Ces dimensions de purification spirituelle (التزكية – al-tazkiyah) et de contribution à la civilisation juste (العمران – al-ʿumrān) sont inséparables, dans la voie de la sagesse universelle à laquelle le Coran nous invite.

L’appel s’adresse à tous et nécessite un engagement moral radical contre la passivité (القعود – al-quʿūd), l’insouciance (الغفلة – al-ghaflah) et la tyrannie des passions (الهوى – al-hawā).

Le défi contemporain est d’élaborer des projets pédagogiques concrets pour mettre en œuvre cette finalité. Il faut créer des environnements qui favorisent la contemplation (التدبر – al-tadabbur) plutôt que la consommation passive d’informations et qui cultivent le caractère (الأخلاق – al-akhlāq) autant que l’intelligence.

Les intuitions de Charlier – son insistance sur la formation intégrale, son refus de réduire l’éducation au marché du travail, son exigence de cohérence – résonnent profondément avec la vision coranique. Le dialogue entre la sagesse révélée et Charlier n’est pas un syncrétisme, mais la reconnaissance d’une vérité universelle : l’éducation doit aider l’être humain à réaliser son potentiel de bien en devenant capable de connaître, de choisir le bien et d’agir pour la justice.

À une époque où l’éducation est menacée par la simple formation technique au service de l’économie, la rencontre entre Charlier et le Coran rappelle qu’une autre voie est possible. Cette voie exige de refuser les compromis faciles et d’affirmer que l’éducation a une mission plus haute que la simple adaptation au marché.

Cette transformation ne viendra pas de réformes par le haut, mais de l’engagement d’individus qui décident de vivre selon leurs principes et de former d’autres personnes selon cette vision exigeante. Comme le rappelait Charlier :

« Toutes les grandes choses du monde se sont passées à l’origine dans le secret de quelques âmes et parfois d’une seule. »

Le regard coranique nous invite ainsi à développer une pédagogie pleinement cohérente avec les principes universels de justice, de vérité et de dignité humaine. C’est vous qui pouvez refaire un monde pur. C’est vous qui pouvez éduquer une génération capable de résister à la médiocrité ambiante et de construire un avenir plus juste. La question reste : répondrez-vous à cet appel ?