Introduction : Pourquoi cette question nous concerne tous
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi, dans notre monde hyper-connecté et qui se prétend ouvert, nous nous sentons parfois plus perdus que jamais ? Pourquoi, malgré l’accès illimité à l’information, la vérité semble de plus en plus compliqué ? Pourquoi, alors que la diversité est célébrée partout, certaines cultures semblent toujours dominées par d’autres ?
La réponse pourrait résider dans une force culturelle que peu d’entre nous nomment, mais que tous expérimentent quotidiennement : le postmodernisme.
Le concept de postmodernisme, tel qu’analysé par le penseur Ziauddin Sardar, s’est généralisé au cours des trois dernières décennies. Il s’agit d’une force culturelle qui conditionne nos pensées, influence nos politiques, et façonne l’éducation, la culture, l’architecture, l’art, et une grande partie de l’industrie du divertissement. Des séries Netflix aux algorithmes des réseaux sociaux, du design minimaliste des applications à la mode de la « cancel culture », le postmodernisme modèle notre quotidien de manière invisible mais profonde.
Pourtant, derrière ce discours de liberté et de pluralisme se cache peut-être une réalité bien plus inquiétante : le postmodernisme n’est pas une rupture, mais la continuation et l’expansion de la dynamique essentielle de la culture moderne, ce qui en fait la « nouvelle hégémonie de la culture occidentale ».
Nous allons analyser comment cette idéologie, en niant les fondements mêmes de la vérité et de la réalité, perpétue une forme insidieuse de domination culturelle sur l’Autre.
Qu’est-ce que le postmodernisme, et d’où vient-il ?
Une réaction contre la modernité
Historiquement, le postmodernisme est né d’une réaction aux limites de la modernité. Il s’est opposé à l’étreinte étouffante de la modernité, à sa rationalité instrumentale, aux notions élitistes de progrès linéaire et aux illusions issues de l’ère des Lumières.
L’époque moderne, c’était l’ère de la Science, de la Raison triomphante, du progrès technologique sans limite. On croyait fermement que l’humanité marcherait en ligne droite vers un avenir meilleur, guidée par la logique et la rationalité occidentales.
Mais le 20e siècle a ébranlé ces certitudes. Deux guerres occidentales mondiales, des colonisations, des génocides, la crise environnementale, les inégalités persistantes… Comment croire encore au “progrès” après les colonisations-exterminations occidentales dans le monde musulman, après Hiroshima ou encore Auschwitz ? Ce mouvement a longtemps été présenté comme le champion du pluralisme et de la diversité des différentes traditions.
Le postmodernisme promettait alors une libération : fini les vérités absolues imposées ! Place à la diversité, au relativisme, à la multiplicité des voix et des choix ! Chacun sa vérité, chacun son chemin. Un discours séduisant, mais concrètement, qu’est-ce que ça implique ?
Comment le postmodernisme détruit-il les fondements de la vérité ?
1e principe : la mort des Grands Récits
Le premier principe du postmodernisme est l’idée que tout ce qui était valide durant l’époque moderne est désormais invalide et obsolète dans les temps postmodernes. L’époque moderne était encadrée par de « Grands Récits » qui donnaient une direction à la pensée et à l’action. Ces récits incluaient la Vérité, la Raison, la Moralité, Dieu, la Tradition et l’Histoire.
Désormais, à l’heure de la postmodernité, voici ce qu’on peut entendre autour de nous, dans notre vie quotidienne :
– “C’est juste ton opinion”
– “C’est juste ton interprétation. Moi je le vois autrement”
– “Ta vérité n’est pas ma vérité”
– “Qui es-tu pour juger ?”
– “Tout est relatif”
Ces formules apparaissent aujourd’hui comme des évidences. La vérité est désormais relative, contingente et arbitraire. Les philosophes de la postmodernité soutiennent que la vérité et la morale ne sont que des produits du temps et du contextes, ce ne sont que des « jeux de mots ».
Prenons un exemple concret : sur les réseaux sociaux, combien de fois voyons-nous des débats où chacun campe sur ses positions, incapable d’accepter qu’il puisse exister une vérité objective ? Chacun a “sa” vérité, et aucun dialogue constructif n’est possible. Alors il n’y a plus rien à se dire…
Or, l’islam se révèle à l’humanité comme une vérité objective sur le monde et une sagesse universelle à vivre :
« Nous avons fait descendre le Coran avec la vérité, et c’est avec la vérité qu’il est descendu. Et toi, Nous ne t’avons envoyé que pour annoncer la bonne nouvelle et avertir les gens. » Coran 17 : 105.
وَبِالْحَقِّ أَنزَلْنَاهُ وَبِالْحَقِّ نَزَلَ وَمَا أَرْسَلْنَاكَ إِلَّا مُبَشِّرًا وَنَذِيرًا
En effet, l’islam n’invite pas l’humanité à « croire » ou à se soumettre à un « dogme » mais à reconnaître et à témoigner de la vérité (al-ḥaqq, vérité objective et universelle) sur le monde, et en conséquence, à s’engager sur la voie de la sagesse révélée. L’être humain est libre et responsable de suivre cette voie avec sincérité ou de s’en détourner.
2e principe : le déni de la réalité
Le deuxième principe du postmodernisme est le déni de la Réalité. Il n’y a pas de Réalité ultime derrière les choses. Nous ne percevons le monde qu’à travers le filtre de notre position dans le temps, de notre culture et de notre contexte. Dénoncer des “fake news”, c’est toujours reconnaître une vérité objective. Mais le postmodernisme va plus loin : il tend vers la “post-vérité”, c’est-à-dire la déconstruction, la délégitimation et dévalorisation de tout discours qui prétendrait être vrai. Car si tout n’est qu’interprétation, alors les faits eux-mêmes deviennent discutables et négociables. Un politicien peut nier une vidéo prouvant ses mensonges en disant simplement “c’est votre interprétation”. L’islamophobie massive peut être niée simplement en disant “c’est votre impression”. On peut accuser n’importe qui d’”l’antisémitisme” au nom du fait que “c’est comme ça que je l’ai ressenti et interprété, donc c’est de l’antisémitisme”. Tout n’est plus qu’interprétation. Tout peut être nié ou défendu au nom d’une interprétation. Et pourtant, toutes les interprétations ne se valent pas : certaines se disent « vraies » tout en étant dans le déni de la réalité.
3e principe : le triomphe du simulacre
Le troisième principe est la simulation. Jean Baudrillard décrit la simulation comme un monde où la distinction entre l’image et la réalité matérielle est perdue. La vie sociale n’est plus régulée par la réalité, mais par des simulations, de pures images et des représentations.
Par exemple, si nous regardons Instagram, combien de vies “parfaites” y sont exposées alors que la réalité est tout autre ? Les filtres, les mises en scène, les mensonges par omission… : nous vivons dans un monde où l’image compte plus que le fond. Baudrillard identifie quatre phases : l’image reflète d’abord une réalité fondamentale, puis elle masque et pervertit cette réalité, ensuite elle masque l’absence de réalité, et finalement elle n’a plus aucune relation avec aucune réalité que ce soit ; elle est son propre simulacre pur.
Il devient vain de chercher la « réalité » dans ce monde de pure simulation, car nous ne pouvons plus distinguer le réel de l’artificiel. Par exemple, les influenceurs qui vendent des modes de vie inaccessibles pour la plupart, aux marques qui créent des besoins artificiels inaccessibles pour la plupart, aux politiciens qui gouvernent par de tweets plutôt que par des politiques concrètes. Nous sommes submergés par les simulacres.
4e et 5e principes : l’insignifiance et le doute perpétuel
Le quatrième principe est le sentiment de l’insignifiance : sans Vérité et Raison, toute connaissance devient impossible, et la Réalité est noyée dans l’insignifiance. Le cinquième principe est le doute qui génère une condition perpétuelle de scepticisme et d’incertitude.
Par exemple, est-il vrai que l’épouse du président Macron est un homme ? Il y a des vidéos qui le prouvent. Le président le nie. Où est la vérité ? Peu importe puisqu’on ne peut pas la connaître, et la vérité a moins de valeur que les apparences. Celui qui a intérêt ou qui veut y croire, qu’il choisisse ce à quoi il croit. En tout cas, il y a une incertitude à ce sujet.
De la même manière, on peut nier l’extermination massive des palestiniens par Israël simplement en opposant que “ce sont des opérations légitimes au nom du droit de se défendre”. D’ailleurs, a-t-on raison de parler de “génocide” ? Y a-t-il autant de morts que ça ? D’ailleurs, “Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient” ; “Au Moyen-Orient, il n’y a qu’en Israël où les homosexuels peuvent vivre librement.” Ce sont autant de preuves que ce qui se passe en Palestine est “incertain” : ce n’est pas clair, il y a des doutes car “ce sont des informations du Hamas”. On ne peut pas savoir. Il y a des organisations internationales qui en témoignent ? Oui mais “on ne vous dit pas toute la vérité”.
De même, est-il vrai que “l’islam, l’islamisme et le terrorisme, c’est la même chose” ? Non, “il ne faut pas faire d’amalgame”. Et pourtant, nier ce lien, c’est “pratiquer la taqiyah, de la dissimulation”. D’ailleurs “pourquoi on n’entend pas les musulmans se positionner clairement à ce sujet”. S’ils ne s’expriment pas (ou si on ne leur donne pas la parole), “alors c’est suspect, ça confirme qu’ils sont complices”. S’ils s’expriment, “alors c’est de la taqiyah”. Par ailleurs, dans la vie quotidienne, dans les médias libres et les réseaux sociaux, les musulmans s’expriment clairement à ce sujet. Mais on ne les entend pas. Ou alors on leur reproche un “double discours”. Conclusion ? “Il y a quelque chose de pas net avec les musulmans”.
Résultat ? Une génération perdue dans la confusion, l’incertitude et l’indécision. Elle est en quête de sens mais incapable de le trouver parce qu’on lui a appris qu’aucun sens n’existe vraiment. Mais si chacun s’invente le sens qu’il veut donner à sa vie, à quoi ça sert de se mentir à soi-même ? Les taux de dépression et d’anxiété explosent, particulièrement chez les jeunes. Est-ce un hasard ?
Paradoxalement, ce mouvement célèbre la diversité et la multiplicité. Il met l’accent sur la diversité des ethnies, des cultures et des genres. Le postmodernisme cherche à démolir toute notion selon laquelle un type de personne devrait être privilégié par rapport aux autres. Il n’y a pas d’essence de l’être humain, il n’y a pas de nature humaine stable et commune, mais il n’y a que des personnes qui “se développent”, qui évoluent selon leurs choix et leurs orientations individuelles. Mais cet éloge ostentatoire de la diversité cache-t-il une réalité plus sombre ?
Pourquoi le postmodernisme est-il un impérialisme déguisé ?
Un produit du colonialisme
Voici le cœur de l’argument de Sardar : malgré son éloge ostentatoire de la diversité, le postmodernisme est une forme avancée de domination occidentale car il est intrinsèquement un produit du colonialisme. C’est une expansion exponentielle du colonialisme et de la modernité.
Comment ? En sapant les critères de réalité et de vérité de l’Autre, l’Occident peut justifier la poursuite de son expansion et de sa domination. Si toutes les vérités se valent, si toutes les cultures sont égales mais en même temps interchangeables et sans substance propre, alors pourquoi pas adopter le modèle occidental qui, lui, a la puissance économique, médiatique et militaire ? Si un pays refuse d’adopter la vision du monde, le mode de vie et le système occidental dans tous les domaines de la pensée et de la vie, n’est-ce pas la preuve d’une marque d’intolérance et de manque d’”ouverture à la diversité occidentale” ? Auquel cas, l’Occident n’a-t-il pas raison de dominer un tel pays ? Si une culture rejette l’idée que l’homosexualité est un choix aussi “normal” et bon qu’un autre, alors l’Occident n’a-t-il pas raison de diffuser ses “Lumières” dans le monde ?
Qui profite vraiment du pluralisme postmoderne ?
Le pluralisme postmoderne n’est pas universel, mais impose les choix d’une minorité occidentale qui a le pouvoir de les imposer à tous, en Occident comme ailleurs. Pour les cultures non-occidentales, le postmodernisme ne leur offre même pas le luxe de choisir de ne pas être dominés, ce qui concerne les quatre cinquièmes de la population mondiale.
Exemple concret : dans les pays occidentaux, on peut choisir son genre, son mode de vie, sa “vérité”. Mais qu’en est-il des milliards d’êtres humains qui n’ont même pas accès à la vraie indépendance politique vis-à-vis des puissances occidentales, à l’eau potable, à l’éducation, à la sécurité ? Ainsi, la valorisation occidentale postmoderne de “la liberté de choisir” exclut en fait des milliards d’êtres humains dans le monde qui n’ont pas choisi de se faire dominer et de se faire dépouiller des richesses naturelles, au point de vivre dans la pauvreté ou dans la difficulté de gagner sa vie ; qui n’ont pas choisi de se faire imposer les choix de valeurs de l’Occident ; qui n’ont pas choisi de se faire imposer la vision matérialiste occidentale de la religion ; qui n’ont pas choisi de se faire imposer la dictature, le pro-occidentalisme et le terrorisme comme les trois courants colonisent la scène publique dans les pays musulmans ; qui n’ont pas choisi de se faire imposer la culture, la publicité, le cinéma, les sciences occidentales, à l’exclusion de son propre héritage culturel et scientifique.
Pour ces milliards d’êtres humains, le postmodernisme n’est qu’un luxe inaccessible, une philosophie de bourgeois, voire un double discours hypocrite.
La valorisation ostentatoire de la diversité ne fait que cacher une idéologie minoritaire et particulière, celle d’une classe eurocentrique qui est dans un rapport cannibale avec l’Autre et avec la nature. Le postmodernisme devient l’alibi suprême pour l’exploitation et l’oppression continues des cultures non occidentales.
Le cynisme comme arme de domination
Le postmodernisme perpétue le barbarisme contre l’Autre comme routine quotidienne. Cette ambivalence morale et politique suggère la capacité à voir toutes les facettes d’une situation sans jugement ni obligation d’agir.
C’est ainsi qu’aujourd’hui, le monde regarde l’extermination des palestiniens par Israël, commente sur Twitter, “envoie des pensées et des prières”, mais rien ne change fondamentalement. Les dirigeants des pays européens et l’OTAN multiplient des déclarations, des promesses ou des appels à “la paix” ou encore à “stopper le massacre”, tout en continuant à financer, à fournir des armes et à relayer massivement la propagande israélienne.
L’absence de vérité morale absolue permet de justifier l’inaction. Après tout, “c’est compliqué”, “qui sommes-nous pour juger ?”, “il y a des torts des deux côtés”… Autant de phrases qui paralysent l’action éthique.
L’islam, au contraire, est une sagesse universelle qui initie au discernement entre le bien et le mal dans le but que chacun puisse exercer sa responsabilité morale activement, dans toutes les situations de la vie :
« Celui d’entre vous qui voit un mal, qu’il le change avec sa main. S’il ne peut pas, avec sa langue. Et s’il ne peut pas, alors avec son cœur, et ceci est le plus faible degré d’adhésion à la voie de Dieu. » Ḥadīth rapporté dans le Ṣaḥīḥ Muslim.
من رأى منكم منكرا فليغيره بيده . فإن لم يستطع فبلسانه فإن لم يستطع فبقلبه وذلك أضعف الإيمان
Pas d’ambivalence, pas de cynisme : face à l’injustice, l’être humain a la responsabilité d’agir par tous les moyens bons et efficaces possibles.
Le nouveau visage du pouvoir
Dans le monde postmoderne, le pouvoir n’est plus principalement politique ou militaire, mais est désormais concentré dans les mains de quelque 200 multinationales mondiales. Les dirigeants politiques occidentaux ne sont souvent que des « leurres pour le pouvoir cynique » qui s’exerce en réalité dans les couloirs des multinationales.
Amazon, Google, Facebook, Apple, Microsoft… Ces géants technologiques ont plus de pouvoir que bien des États. Ils définissent ce que nous voyons, ce que nous ressentons, ce que nous pensons, comment nous nous comportons. Leurs algorithmes façonnent la réalité plus efficacement qu’aucun empire colonial ne l’a jamais fait.
Et le postmodernisme est le cadre idéologique parfait pour légitimer ce pouvoir : pas de vérité absolue à défendre, pas de moralité contraignante, juste le marché, les choix individuels et la consommation infinie.
Comment l’Autre est-il consommé et digéré ?
De la colonisation territoriale à la colonisation culturelle
Le désir postmoderne n’est plus de coloniser la terre, mais d’absorber et de consommer l’Autre. L’Autre est réduit à des « consommables » et une ressource pour réaliser le plein potentiel de l’Occident. Autrefois, on colonisait les terres et exploitait les ressources naturelles. Aujourd’hui, on colonise les imaginaires et on exploite les cultures.
L’histoire falsifiée par le divertissement
La culture populaire postmoderne utilise l’histoire comme un « pastiche » pour ses propres objectifs. Le film d’animation Pocahontas de Walt Disney illustre parfaitement la façon dont le postmodernisme traite avec l’histoire de l’Autre. L’histoire est utilisée pour transformer l’Autre – Pocahontas – en une icône moderne du féminisme « émancipé ». Le film réécrit l’histoire pour confirmer la domination américaine et affirmer l’idéologie de la Pax Americana. L’histoire tragique d’une jeune fille amérindienne devient une histoire d’amour romantique qui justifie implicitement la colonisation. Les massacres, les vols de terres, les génocides sont édulcorés, oubliés, transformés en conte de fées.
De la même manière, les films Marvel placent des personnages “diversifiés” dans des récits qui, fondamentalement, célèbrent toujours la puissance militaire américaine et le capitalisme. La diversité de façade masque une uniformité idéologique profonde.
Ce processus est baptisé « divertissement éducatif » (edutainment), où l’histoire, la culture et la civilisation sont caricaturées et falsifiées pour mettre en valeur l’hégémonie occidentale. Netflix et les plateformes de streaming sont aujourd’hui les principaux vecteurs de ce phénomène. Elles produisent des contenus “diversifiés” qui donnent l’illusion de représenter toutes les cultures, mais qui en réalité les diluent dans un format standardisé occidental.
La marchandisation des cultures
Le postmodernisme promeut un pluralisme superficiel en transformant les cultures en marchandises. Les produits et expériences des « Autres cultures » sont recyclés et exportés vers l’Occident comme des « ingrédients bruts ».
Par exemple, le yoga, pratique spirituelle millénaire indienne, est transformé en séances de fitness à 30 euros. Le “Buddha Bowl” vendu dans les cafés branchés. Les tapis berbères vendus chez H&M Home. La chaîne The Body Shop commercialise l’attrait pour l’exotisme et l’Autre ethnique. Le beurre de karité traditionnel africain, utilisé depuis des siècles par les femmes africaines, est extrait, transformé en cosmétique occidental, puis revendu… aux femmes africaines, plus cher et dépouillé de son contexte culturel, comme un produit « occidental ».
Dans ce système, la différence culturelle est une marchandise réduite à un « Autre culturel » qui peut être assimilé et approprié. Le tourisme postmoderne traite également l’Autre comme un objet de consommation, en recherchant des « produits artisanaux authentiques », tout en réduisant les traditions à de simples spectacles.
Les safaris humains en Amazonie, les visites de bidonvilles à Mumbai, les “expériences authentiques” soigneusement mises en scène au Maroc… Le tourisme postmoderne consomme la pauvreté et l’altérité comme un spectacle.
Quelle alternative : responsabilité collective contre individualisme absolu ?
L’individualisme occidental poussé à l’extrême
L’individualisme est considéré comme « le fondement absolu » de la démocratie libérale occidentale. Dans ce cadre, la société est définie comme la somme des individus autonomes, où l’individu est présumé antérieur à la société. “Sois toi-même”, “Fais ce que tu veux”, “Ton bonheur d’abord”, “Personne ne peut te juger”… Ces mantras individualistes saturent nos fils d’actualité. Mais à quel prix ?
Selon la vision postmoderne, on est tous totalement autonome, libre de toute obligation envers les autres. Ma seule responsabilité est envers moi-même et mon propre bonheur. Résultat ? Des sociétés atomisées où chacun est isolé dans sa bulle, où les liens communautaires se s’affaiblissent, où la solitude devient épidémique. Les taux de suicide augmentent, les familles se fragmentent, les voisins ne se connaissent plus.
Les droits sans responsabilités : une liberté illusoire
L’Occident se concentre sur les droits de l’individu, tandis que les cultures non-occidentales, en particulier l’Islam, mettent l’accent sur les droits de l’humanité combinés à des responsabilités. Dans la perspective islamique, il n’y a pas de droits sans devoirs : l’individu a la responsabilité de contribuer à la justice et de s’engager au service de la vie en communauté. Concrètement, cela signifie que ma liberté s’accompagne de responsabilités : envers Dieu, ma famille, ma communauté, l’humanité et la création.
Le postmodernisme, lui, rejette toute base absolue de moralité et rejette toutes les responsabilités, insistant sur la liberté totale de l’individu. Ironiquement, cette liberté individuelle poussée à l’extrême peut mener à l’oppression de l’individu. Car sans cadre moral, sans but transcendant, sans communauté solidaire, l’individu “libre” devient en réalité esclave : esclave des multinationales, de ses passions, de la consommation, des modes, de l’anxiété existentielle.
Conclusion : Vers une autonomie retrouvée
Le postmodernisme, avec son relativisme absolu et son obsession pour la consommation de l’Autre, n’est pas une libération de la modernité. C’est plutôt d’une continuation de la domination coloniale sous des formes différentes et totales. En vidant le monde de toute vérité universelle et de tout sens moral, il crée un univers perpétuellement ambigu où le pouvoir cynique des multinationales domine sans contestation légitime possible.
Pour les peuples non-occidentaux, et particulièrement pour les musulmans, la libération réside dans la capacité à se défaire de la « camisole de force idéologique de la modernité et du colonialisme » et à affirmer leurs propres visions alternatives de la vie.
Cette alternative n’est pas un repli frileux ou un rejet de l’universel. Au contraire, c’est proposer au monde une vision où :
– La vérité existe et peut être cherchée collectivement
– La réalité a un sens profond et n’est pas qu’un jeu de simulacres
– Les droits s’accompagnent de responsabilités
– L’individu s’épanouit au sein d’une communauté solidaire
– Les cultures sont respectées dans leur authenticité, pas consommées comme des marchandises
– La justice morale n’est pas relative mais exigible
Le Coran nous rappelle :
“Et c’est ainsi que Nous avons fait de vous une communauté du juste milieu, afin que vous soyez témoins pour les gens” (2:143).
Ce “juste milieu” (ummatan wasatan) n’est-il pas exactement ce dont notre monde a besoin face aux extrêmes du postmodernisme ? Ni le dogmatisme rigide de la modernité, ni le relativisme dissolvant du postmodernisme, mais une troisième voie : enracinée dans une vérité et une sagesse révélée, ouverte au dialogue.
Dans un monde postmoderne qui nie toute réalité, l’islam offre un ancrage : cette troisième voie consiste à retrouver le sens de la réalité : reconnaître la réalité de Dieu comme Créateur de tout ce qui existe, comme cause première et organisateur permanent de la vie dans le cosmos, comme source supérieure de vérité, de bien, de sagesse et de valeurs pour la vie de l’être humain (Tawhid). Cette réalité fondamentale implique que la vie a un sens, que la réalité du monde peut et doit être connue, , que la vie est bonne et innocente par nature, que le bien et le mal peuvent être distingués, que nous pouvons transformer notre personne et notre monde pour les rendre meilleurs, que la justice est réelle et nécessaire, dans la vie présente et dans la vie dernière. A partir de cette réalité fondamentale, toutes les choses de la vie, qu’elles soient petites ou grandes, prennent une tout autre signification.
La question n’est donc plus : le postmodernisme est-il une nouvelle liberté ou un impérialisme masqué ? La réponse est claire. La vraie question est : qu’allons-nous faire de cette prise de conscience ? Comment allons-nous, concrètement, dans nos vies quotidiennes, résister à cette force d’assimilation et affirmer nos propres visions d’une société plus juste, plus authentique, plus humaine ? La réponse commence aujourd’hui, avec chacun d’entre nous.


