Dār al-Salām – دار السلام 


 Cet article est un extrait du livre Mohamed Oudihat, Les Concepts du Coran

On vit dans un monde de grandes villes où un enfant est souvent capable de citer par cœur tous les noms des personnages des dessins animés de Disney, alors qu’il est incapable de citer le nom de trois de ses voisins. On a tendance à changer de plus en plus souvent de travail et de lieu d’habitation. On devient progressivement chacun anonyme pour chacun. On a du mal à se dire « Bonjour », car on ne veut plus « entrer dans la vie privée des autres ». L’anonymat et l’indifférence sont en train de devenir la norme de toutes les grandes villes du monde moderne. 

La paix, dans notre Maison commune – la terre – est faite de mille et une petites choses. La première est peut-être la pratique de la fraternité non seulement entre musulmans, mais aussi plus largement, avec toute personne : par nature, tout être humain est d’égale dignité, mérite qu’on le traite de la meilleure des manières, mérite qu’on veuille le bien pour lui, et donc mérite qu’on lui tienne de bonnes paroles. Tenir de bonnes paroles fait partie de la voie de Dieu, telle qu’elle a été enseignée de génération en génération : 

(Rappelle-toi) Lorsque Nous avons pris l’engagement des enfants d’Israël de n’adorer que Dieu, de faire le bien envers les pères, les mères, les proches parents, les orphelins et les nécessiteux, d’avoir de bonnes paroles envers les gens ; de faire régulièrement la prière et de donner la zakāh. Mais à l’exception d’un petit nombre d’entre vous, vous avez manqué à vos engagements en vous détournant de Nos commandements.

وَإِذْ أَخَذْنَا مِيثَٰقَ بَنِىٓ إِسْرَٰٓءِيلَ لَا تَعْبُدُونَ إِلَّا ٱللَّهَ وَبِٱلْوَٰلِدَيْنِ إِحْسَانًا وَذِى ٱلْقُرْبَىٰ وَٱلْيَتَٰمَىٰ وَٱلْمَسَٰكِينِ وَقُولُوا۟ لِلنَّاسِ حُسْنًا وَأَقِيمُوا۟ ٱلصَّلَوٰةَ وَءَاتُوا۟ ٱلزَّكَوٰةَ ثُمَّ تَوَلَّيْتُمْ إِلَّا قَلِيلًا مِّنكُمْ وَأَنتُم مُّعْرِضُونَ

 Coran 2 : 83.

Le prophète Muḥammad (paix sur lui) a enseigné que la fraternité et la bienveillance, l’attention et l’amour sont le « vaccin » contre la haine et la jalousie qui peuvent pervertir les relations quotidiennes. Mais au-delà des valeurs et des mots, comment faire ? Voici son enseignement :

« Le mal des nations qui vous ont précédé s’est infiltré parmi vous : la haine et la jalousie. La haine est celle qui rase, elle ne rase pas les cheveux, mais elle rase la sagesse (al-dīn). Je jure par Celui qui détient mon âme dans sa main, vous n’entrerez pas au Paradis tant que vous n’avez pas adhéré à la voie de Dieu. Et vous n’aurez adhéré à la voie de Dieu que lorsque vous vous aimerez les uns les autres. Voulez-vous que je vous dise comment ? Saluez-vous les uns les autres.1 »

دب إليكم داء الأمم قبلكم :  البغضاء والحسد . والبغضاء هي الحالقة ليس حالقة الشعر ولكن حالقة الدين . والذي نفسي بيده لا تدخلون الجنة حتى تؤمنوا ولا تؤمنوا حتى تحابوا ألا أنبئكم بما يثبت لكم ذلك :  أفشوا السلام بينكم

Quand la peur, l’hostilité et la jalousie contaminent les esprits au point de dresser les uns contre les autres, c’est le signe que la sagesse n’est plus, que plus personne ne fait l’effort de faire entrer la sagesse dans la vie réelle. S’efforcer à prendre l’initiative de saluer l’autre, d’entrer en contact avec lui, de lui offrir un sourire ou un conseil…, c’est faire entrer la volonté de Dieu dans les petites choses de la vie. 

Le prophète Muḥammad (paix sur lui) a enseigné que le salut est un devoir pour tous. En ce sens, un jour, le compagnon ‘Abd Allāh ibn ‘Umar raconte qu’il a entendu un homme interroger ainsi le prophète : « Qu’est-ce qu’il y a de mieux en islam ? Le prophète lui a répondu :

« Donner à manger et saluer ceux que l’on connaît et ceux que l’on ne connaît pas.2 »

Saluer même l’inconnu, même la personne qu’on n’apprécie pas, cela reste un devoir dont doit témoigner toute personne animée du désir de plaire à Dieu :

Les serviteurs du Tout Miséricordieux sont ceux qui marchent humblement sur terre, et qui, lorsque les ignorants s’adressent à eux, disent : “Paix” (salām)

وَعِبَادُ الرَّحْمَٰنِ الَّذِينَ يَمْشُونَ عَلَى الْأَرْضِ هَوْنًا وَإِذَا خَاطَبَهُمُ الْجَاهِلُونَ قَالُوا سَلَامًا

Coran 25:63

Même face à des personnes hostiles qui ne partagent pas les mêmes convictions que soi, les saluer, leur vouloir le bien et leur pardonner sont un devoir :

Éloigne-toi d’eux sur une parole conciliante : “Paix !” Un jour, ils se rendront à l’évidence !

فَاصْفَحْ عَنْهُمْ وَقُلْ سَلَامٌ ۚ فَسَوْفَ يَعْلَمُونَ

Coran 43 : 89

Saluer les gens n’est donc pas qu’un petit devoir : il conditionne l’ambiance sociale et le moral de chacun. C’est pourquoi le Coran insiste dessus : 

Lorsqu’on vous adresse un salut, saluez d’une meilleure façon ou bien rendez-le simplement. Dieu tient compte de toute chose ! 

وَإِذَا حُيِّيتُم بِتَحِيَّةٍ فَحَيُّوا بِأَحْسَنَ مِنْهَا أَوْ رُدُّوهَا ۗ إِنَّ اللَّهَ كَانَ عَلَىٰ كُلِّ شَيْءٍ حَسِيبًا

Coran 4 : 86

Le Coran et le prophète ont accompagné la transformation personnelle et sociale. En effet, les compagnons qui étaient initiés à la sagesse, prenaient très au sérieux le devoir de se saluer les uns les autres, et faisant même de la multiplication des salutations un moyen de plaire à Dieu et de multiplier les bonnes actions. Par exemple, on raconte que ‘Abd Allāh ibn ‘Umar allait au marché uniquement pour saluer tous ceux qu’il y croisait. Au marché, on pouvait croiser la diversité humaine, la diversité culturelle et religieuse. Le juif, le chrétien, le musulman et le polythéiste… : tout le monde se saluait, notamment avec la formule « Al-salām ‘alaykum », car cela faisait partie de la culture commune.

Le salut n’est d’ailleurs pas qu’un mot ou qu’une formule : saluer quelqu’un tout en ayant un visage ou une attitude peu accueillante, c’est dire une chose et faire le contraire. C’est manquer à son devoir de bien et de courtoisie envers l’autre. La bonne parole – ici le salut – doit être accompagnée et confirmée par une bonne façon d’être. C’est pourquoi, au-delà des bonnes paroles, le prophète a enseigné que le bien se partageait aussi dans sa façon d’être :  

« N’entrera pas en Enfer toute personne à l’abord facile, bienveillant, doux et proche des gens.3  »

« Soyez miséricordieux envers les gens pour que Dieu vous accorde Sa miséricorde, et pardonnez aux gens pour que Dieu vous pardonne.4  »

Ainsi, quand on est courtois, mais qu’en plus on est accueillant, souriant, ouvert à l’autre et bienveillant, l’autre se sent alors vraiment dans une relation fraternelle, en paix et en sécurité. L’islam ne s’arrête pas là. L’islam est une sagesse universelle qui invite à « la Demeure de la Paix » (Dār al-Salām), dans ce monde, et dans la vie future, à travers le Paradis. 

Ce concept de Dār al-Salām a largement inspiré la philosophie islamique politique qui a pris au sérieux le projet de construire une paix mondiale, notamment grâce à la connaissance mutuelle, à la coopération, aux alliances et aux pactes tissés entre nations. Ce projet d’espace de paix mondiale est aussi synonyme de Dār al-islām ou de la Maison de l’islam. 

Pour enter dans cette Maison, pas besoin de se « convertir » à l’islam : il faut simplement s’engager à conclure et à respecter un pacte qui exige de chaque personne, communauté et nation, un engagement à cultiver ensemble les conditions d’une paix durable. C’est ce qui fait de Dār al-Salām, ou de Dār al-islām, la première invitation à vivre en paix dans une société multiculturelle et dans la diversité des religions.

Ce concept montre à l’humanité la voie vers la Pax Islamica (la paix selon l’approche universelle islamique) – vers un monde multireligieux et multiculturel, comme cela a toujours été le cas dans la civilisation islamique, depuis le temps du prophète Muhammad.

L’islam interdit tout ce qui détruit les liens sociaux et la confiance, la fraternité et la convivialité, c’est-à-dire : la compétition dans le mal, l’indifférence au mal, l’intrusion dans la vie privée, la rumeur, la médisance, la calomnie, l’espionnage, la division, l’hypocrisie, l’orgueil, l’égoïsme individuel et collectif…

L’islam encourage tout ce qui renforce les liens sociaux et la confiance : saluer les gens, offrir un sourire, offrir un visage accueillant, offrir son aide pour soulager d’une peine, retirer de la route un objet encombrant, rendre visite au malade, demander des nouvelles de ses proches, offrir son hospitalité, offrir un cadeau… La vie en famille et en société est faite de tous ces petits gestes qui rendent le quotidien agréable, qui font qu’on se sent faire partie d’une même « famille ». 

La diversité des religions et des philosophies de vie, des façons de s’habiller, de parler ou de manger…, ne doit pas nous empêcher de cultiver ces petits gestes qui créent de la paix et de la joie au quotidien.

  • Exemples dans le Coran 

Dieu invite les gens, et surtout ceux qui sont convaincus par son Message, à se mobiliser pour construire une paix totale, et pour stopper les sources de division et de conflit :

Ô vous qui avez adhéré à la voie de Dieu ! Entrez dans une paix totale (les uns avec les autres), et ne suivez pas les pas du diable, car il est certes pour vous un ennemi déclaré

يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا ادْخُلُوا فِي السِّلْمِ كَافَّةً وَلَا تَتَّبِعُوا خُطُوَاتِ الشَّيْطَانِ ۚ إِنَّهُ لَكُمْ عَدُوٌّ مُّبِينٌ

 Coran 2 : 208

Dieu invite à la Demeure de la Paix (Dār al-Salām) et Il guide qui Il veut vers une voie droite.

وَاللَّهُ يَدْعُو إِلَىٰ دَارِ السَّلَامِ وَيَهْدِي مَن يَشَاءُ إِلَىٰ صِرَاطٍ مُّسْتَقِيمٍ

Coran 10 : 25

Mettre en pratique la sagesse universelle que l’islam nous rappelle, de même que se saluer par la formule « Al-salām ‘alaykum », « Que la paix soit sur vous », c’est participer à diffuser la paix et la fraternité dans la vie quotidienne, en famille comme au travail, dans la rue comme dans tous les lieux publics. C’est ce qui fait de l’islam non pas une « religion » mais un art de vivre et un projet civilisationnel visant à bâtir un espace mondial en paix, grâce à la pratique de la justice et de la sagesse.

  • Écosystème conceptuel

L’islam a pour finalité de construire Dār al-Salām, la Maison mondiale dans laquelle règne une paix totale. Mais pour que ce projet universel se réalise, il y a besoin de changer l’individu par le travail de tazkiyah al-nafs. En effet, la purification de l’âme prépare à la pacification des relations familiales, sociales et internationales. Il y a besoin d’éduquer et de pratiquer l’amour de la justice (al-qisṭ). Car il n’y a pas de paix durable possible sans justice. Il y a besoin d’éduquer et de pratiquer la connaissance mutuelle (al-ta‘āruf) à toutes les échelles : de la famille à l’échelle mondiale, en passant par la ville et le pays. Il y a besoin de protéger la liberté de religion (ḥifẓ al-dīn) pour que la diversité (al-ikhtilāf) ne se pervertisse pas en conflit de chacun contre chacun. Il y a besoin de tisser des mariages (zawāj), des alliances et des pactes (‘ahd, mīthāq) commerciaux, culturels et politiques pour contenir les conflits. Et à chaque fois que les conflits s’imposent malgré tous ces efforts, il y a besoin de respecter une éthique du jihād pour aboutir au moindre mal, à défaut de pouvoir assurer le bien, voire le meilleur. Car tous les jihād ne se valent pas : à cause de leurs objectifs, de leurs méthodes et de leurs résultats. Pour le Coran, le jihād n’est pas la guerre contre tous ceux qui pensent et vivent différemment. C’est plutôt l’engagement à coopérer pour servir le Bien commun (al-ta‘āwun ‘alā al-birr wa al-taqwā) et pour résister contre l’injustice. 

  • Erreurs habituelles de traduction

Ne plus traduire « Dār al-Salām » par « monde musulman », car cet espace inclut des personnes et des communautés de différentes cultures, religions et philosophies de vie, pas uniquement des musulmans. De la même manière, il n’est pas juste de parler de « la civilisation musulmane » car celle-ci accueillait des gens de tous les horizons religieux et culturels. 

  • Garder le mot arabe en phonétique et l’expliquer

Garder la formule « Dār al-Salām » en phonétique et l’expliquer ainsi : c’est « la Demeure de la Paix », c’est l’idéal de civilisation humaine juste et en paix que l’islam vise à former.

  • Concepts proches

Construire la Demeure de la Paix sur terre, c’est contribuer à un projet mondial de paix totale (al-silm al-kāffah) ; c’est prendre la voie de la paix (al-islām) ; c’est s’engager ensemble dans des coopérations (al-amānah, al-mīthāq, al-‘aqd) ; c’est tisser des pactes ou des alliances (al-‘ahd) pour développer la confiance et la justice sociale dans les échanges entre personnes et communautés humaines.

  • Concepts contraires 

Le contraire de la paix totale que l’islam vise à réaliser sur terre, c’est la méfiance, la suspicion, l’espionnage mutuel, le non-respect de ses engagements et la division. Entre individus et organisations, ou encore entre communautés et nations, l’absence de formalisation des accords, de mise par écrit, de pactes ou d’alliances, de coopération dans le bien commun, ainsi que l’absence de justice favorisent la suspicion, la tromperie, l’insécurité et les conflits.

Notes

  1.  Ḥadīth rapporté par Muslim n° 54, Aḥmad n° 2/391 et al-Tirmidhī n° 2513.
  2. Ḥadīth ṣaḥīḥ rapporté par al-Bukhārī n° 12, 28 et 6236 et Muslim n° 39.
  3.  Ḥadīth rapporté par Aḥmad.
  4.  Ḥadīth Ṣaḥīḥ al-Jāmi‘.

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