Dunyā – دنيا


 Cet article est un extrait du livre Mohamed Oudihat, Les Concepts du Coran

Est-il juste de croire que la vie présente n’a pas de valeur et que l’on devrait la fuir, pour se concentrer sur l’adoration de Dieu, en s’isolant de la vie « profane » ? Voyons comment le Coran éclaire cette question.

Al-ākhirah est la vie dernière, la dernière vie qui nous attend dans le futur. Ce n’est pas « l’au-delà ». La vie dernière est meilleure que la vie présente, car selon ses actes, elle ouvre au Paradis, le Bien suprême :  

« Certes, la vie dernière est meilleure pour toi que la vie présente. »

وَلَلْآخِرَةُ خَيْرٌ لَّكَ مِنَ الْأُولَىٰ

 Coran 93 : 4

Mais elle peut être également pire que la vie présente, car selon ses actes, elle ressemble à l’Enfer. Autrement dit, la vie présente ne représente pas le mal et la vie future n’est pas le bien absolu et total. La vie future contient un mal pire que celui que l’on peut goûter dans la vie présente. 

Le Coran nous révèle comment mieux nommer la vie pour mieux l’approcher, sans la dévaloriser et sans s’y noyer. C’est le temps qui distingue et sépare al-dunyā et al-ākhirah : l’une est la première, dans le présent, l’autre est la dernière, dans le futur. 

La vie passée, présente et future

La vie présente n’a aucun sens si elle n’est pas mise en perspective avec le passé et le présent. Avant cette vie, il y avait la Maison du pacte originel (Dār al-‘ahd) ce moment où l’être humain s’engage devant Dieu à ne suivre aucune autre divinité (ni son ego, ni la tradition, ni les ancêtres, ni les chefs, ni la majorité, ni sa communauté…) si ce n’est Lui.

Adam et Eve, au Paradis, sont tentés par le diable qui les encourage à manger du fruit de l’arbre que Dieu leur avait pourtant interdit, alors qu’Il leur avait autorisé de jouir de la totalité du Paradis par ailleurs. Ils mangent du fruit interdit. Dieu leur pardonne. Et comme prévu initialement, Il les fait sortir du Paradis pour les faire entrer sur Terre. Autrement dit, Adam et Eve quittent la Maison du pacte originel (le Paradis) et entrent dans une nouvelle Maison : Dār al-khilāfah, la Maison dans laquelle l’être humain est successeur de Dieu et vice-gérant de la vie sur terre. C’est la vie présente (al-ḥayāh al-dunyā) dans laquelle il est mis à l’épreuve : il a la liberté et le pouvoir de réaliser la volonté de Dieu ou de répandre le désordre sur terre. Le bien et le mal font partie de la nature de l’être humain. Mais défendre le bien et résister au mal qui est en lui et autour de lui, telle est sa vocation morale sur terre, qui ne dépend que de sa volonté.

Il ne suffit pas d’être honnête et de ne pas faire de mal aux autres pour réussir sa vie, pour plaire à Dieu dans la vie présente et future. Encore faut-il faire le bien et empêcher l’injustice contre les plus faibles qui nous entourent.

La mort consiste à rendre sa vie et son âme à Dieu. C’est le passage de la vie présente à la vie dernière où l’être humain est exposé au Jugement de Dieu. Il sera alors jugé en fonction de ses intentions et de ses actes dans Dār al-khilāfah, lorsqu’il était dans la vie présente. Si l’être humain n’était pas libre, n’était pas Khalīfah sur terre, il aurait pu défendre son innocence devant Dieu, le Jour du Jugement : 

« Certes, j’ai fait le mal dans ma vie. Mais ce n’est pas ma faute : c’est de la faute du destin, des forces invisibles, de nos gouvernants, du poids de la tradition et de la majorité… »

Mais Dieu refusera tout prétexte qui pourrait excuser le fait de démissionner de sa responsabilité (à l’exception des personnes qui n’ont pas atteint l’âge de raison ou qui sont atteintes de folie).

La vie dernière est le moment où chacun pourra récolter ce qu’il a semé :

« Et, ce jour-là, les hommes sortiront de leurs tombes séparément, pour être confrontés à ce qu’ils faisaient quotidiennement. Quiconque aura alors fait le poids d’un atome de bien le verra et quiconque aura commis le poids d’un atome de mal le verra. »

يَوْمَئِذٍ يَصْدُرُ النَّاسُ أَشْتَاتًا لِّيُرَوْا أَعْمَالَهُمْ
فَمَن يَعْمَلْ مِثْقَالَ ذَرَّةٍ خَيْرًا يَرَهُ
وَمَن يَعْمَلْ مِثْقَالَ ذَرَّةٍ شَرًّا يَرَهُ

 Coran 99 : 6-8

Si l’être humain vit sa vie sans réaliser la finalité pour laquelle il a été créé, s’il vit comme si Dieu ne l’avait pas invité à être meilleur et à améliorer son monde, s’il vit en profitant des choses de la vie tout en participant au mal sur terre, alors sa vie aura été un échec dont il va récolter les résultats :

« Certes, Dieu fera entrer ceux qui ont adhéré à sa voie et qui ont fait le bien dans des Jardins sous lesquels coulent les fleuves. Quant à ceux qui sont dans le déni de Dieu, ils jouissent des biens de ce monde et mangent comme des bêtes, mais leur demeure sera le Feu ».

إِنَّ اللَّهَ يُدْخِلُ الَّذِينَ آمَنُوا وَعَمِلُوا الصَّالِحَاتِ جَنَّاتٍ تَجْرِي مِن تَحْتِهَا الْأَنْهَارُ وَالَّذِينَ كَفَرُوا يَتَمَتَّعُونَ وَيَأْكُلُونَ كَمَا تَأْكُلُ الْأَنْعَامُ وَالنَّارُ مَثْوًى لَّهُمْ

 Coran 47 : 12

Autrement dit, celui qui a adhéré à la voie de Dieu en jouissant des bonnes choses, tout en évitant l’excès et l’injustice, tout en participant à faire le bien et à empêcher l’injustice, méritera le Paradis. Celui qui est dans le déni de Dieu, qui cherche à jouir des bonnes choses et des mauvaises, sans se donner de limites, sans se soucier d’évaluer s’il ne participe pas à l’injustice dans le monde, méritera l’Enfer.

Le Jour des comptes, Dieu peut se montrer Sévère ou Clément, en fonction de son jugement, de sa sagesse et de sa bonté. Dieu est parfaitement libre et juste.

La vie présente est un don de Dieu

La vie présente n’est pas mauvaise : c’est un don de Dieu, un cadeau que Dieu a mis à la disposition de l’être humain pour en jouir et pour assurer sa vocation de Khalīfah sur terre :

« Et Il a mis à votre disposition tout ce qui est dans les cieux et sur la terre, le tout venant de Lui. Il y a là des signes pour des gens qui réfléchissent ». 

وَسَخَّرَ لَكُم مَّا فِي السَّمَاوَاتِ وَمَا فِي الْأَرْضِ جَمِيعًا مِّنْهُ ۚ إِنَّ فِي ذَٰلِكَ لَآيَاتٍ لِّقَوْمٍ يَتَفَكَّرُونَ

 Coran 45 : 13

Cette vie est un « lieu de jouissance 1» (matā‘2), où l’on peut jouir de ce qu’il y a de bon et de beau (« une belle part dans la vie présente 3»), jouir des bonnes choses (al-ṭayyibāt) que Dieu nous a offertes.

Le mal n’est pas dans la vie, mais dans la façon dont l’être humain agit dans la vie, dans la relation entre l’homme, les autres, la nature et Dieu. Lorsque l’être humain est dans l’excès, il pervertit son rapport aux bonnes choses de la vie : 

« En vérité, l’homme est bien ingrat envers son Seigneur ! Et il peut en témoigner lui-même. Et il a un amour excessif pour les biens de ce monde ! »

إِنَّ الْإِنسَانَ لِرَبِّهِ لَكَنُودٌ
وَإِنَّهُ عَلَىٰ ذَٰلِكَ لَشَهِيدٌ
وَإِنَّهُ لِحُبِّ الْخَيْرِ لَشَدِيدٌ

 Coran 100 : 6-8

Le mal est dans ce que l’être humain fait de la vie, avec son cœur (ses intentions, ses idées, ses projets…), sa langue (son expression culturelle, politique…) et ses mains (ses actions individuelles et collectives). Le mal est dans la façon d’être avec Dieu, d’utiliser sa vie, d’être avec les autres et d’exploiter la nature :

La vie n’est pas « religieuse » ou « profane » 

Depuis le 20e siècle, il est de plus en plus courant d’entendre dire qu’il y a d’un côté la religion et de l’autre, la vie ; d’un côté les choses « sacrées » et de l’autre, les choses « profanes ». Dans cette conception courante, la religion est un tout petit aspect de la vie qui se limite à quelques pratiques personnelles et au culte (la prière, le jeûne…) qui se vit dans la sphère privée. 

D’ailleurs, pour justifier cette conception, on fait souvent appel à un récit sur le prophète Muḥammad (paix sur lui). Un jour, alors qu’il est à Médine, il voit un agriculteur pratiquer la pollinisation des dattiers. Il n’était pas du tout convaincu de l’utilité d’une telle pratique. Il a alors exprimé son avis et a recommandé de l’arrêter. Depuis, les compagnons ont arrêté. Par la suite, le prophète est retourné auprès des compagnons pour connaître l’impact de la nouvelle technique qu’il a recommandée. Malheureusement, la récolte des dattes a été mauvaise. Le prophète s’est alors exprimé ainsi :

« Certes, je ne suis qu’un être humain. Quand je vous ordonne quelque chose sur la base de votre voie (c’est-à-dire de la révélation), prenez-le ! Et quand je vous ordonne quelque chose sur la base de mon avis personnel, je ne suis qu’un être humain4 ! »

إنما أنا بشر، إذا أمرتكم بشيء من دينكم فخذوا به؛ وإذا أمرتكم بشيء من رأيي فإنما أنا بشر

Selon un autre ḥadīth, il a répondu ainsi :

« Vous connaissez mieux les affaires de votre vie (dunyākum5). »

أنتم أعلم بأمر دنياكم

Sans doute sous l’influence d’une vision chrétienne et moderne de la religion, les musulmans ont tendance, depuis le 20e siècle, à comprendre ce récit comme la confirmation que la religion a un domaine bien délimité, et que le reste fait partie de la vie, domaine dans lequel la religion n’a plus rien à dire. Cette façon d’interpréter est fausse, car elle contredit le message du Coran et des révélations passées. Elle contredit également l’enseignement du prophète Muḥammad (paix sur lui) que l’on retrouve dans la Sunnah. 

En fait, ce que le prophète Muḥammad est en train d’enseigner à ses compagnons, c’est tout d’abord la nécessité de distinguer deux aspects dans sa personne : le prophète qui parle en tant que prophète, sur la base de la sagesse révélée à travers le Coran – ici, le contenu de son message est vrai et infaillible – ; et le prophète en tant qu’être humain qui a une connaissance et une expérience relatives de la vie – là, il peut se tromper comme n’importe quel être humain. S’il donne son avis personnel (رأيي) sur un sujet de la vie, sur la base de sa raison et de son expérience, il peut avoir raison comme il peut avoir tort. C’est la connaissance de la vie, c’est l’expérience, ici, c’est la maîtrise des techniques agricoles et de la terre qui permet de valider son avis personnel. 

En tant qu’homme, il a grandi à La Mecque, une ville où la culture commerciale est forte. À Médine, la culture agricole prédomine. Son savoir en matière d’agriculture est relatif. Mais il n’est pas en train d’enseigner que le musulman doit s’intéresser à la religion et délaisser la vie (l’agriculture, l’architecture, l’urbanisme, l’éducation, l’économie, etc.). L’agriculture, comme tous les autres domaines de connaissance et d’activité, est aussi l’affaire de la religion : c’est là que le sens de la justice et de la sagesse doit se concrétiser. En effet, par exemple, on peut faire pousser des fruits en utilisant des pesticides et des moyens de doper la production, tout en abîmant l’écosystème, la qualité des fruits et la santé des gens. C’est pourquoi la technique pour faire pousser des fruits n’est pas neutre : elle est d’emblée morale ou immorale ; elle est soit conforme à la finalité de la religion qui est de partager les bonnes choses de la vie, soit contraire, car elle affecte la vie et les vivants. 

Dans un tout autre ḥadīth, les compagnons se sont demandé, si la fin du monde arrive, quel serait le meilleur acte à faire. Le prophète leur répond : 

« Si l’Heure arrive alors que l’un d’entre vous a un petit palmier à planter dans sa main, s’il peut le planter avant qu’elle n’ait lieu, qu’il le plante6 ! »

Le prophète n’a pas dit : « Si l’Heure arrive et qu’elle te surprend dans ton quotidien ‘‘profane’’, arrête tout, et va faire des actes “religieux” ! Va à La Mecque faire un dernier pèlerinage ! ». Il n’a pas dit : « Toi qui es en train de travailler la terre, toi qui travailles pour les choses de cette basse vie, abandonne ta vie “profane” et fais un dernier acte “religieux” ! ». Le message qu’il veut transmettre est simple : si la fin du monde arrive et que tu es en train de faire quelque chose de bien, ne t’arrête pas, continue, va jusqu’au bout. Le bien que tu es en train de faire, ce peut être de planter un palmier dattier, prendre soin d’une personne âgée, éduquer, voyager pour apprendre une science utile, administrer le bien commun, nettoyer la voie publique, partager ta richesse ou faire la prière… Tant qu’on est vivant, on ne doit pas désespérer : on doit multiplier et intensifier les actions au service du Bien. 

Un autre récit sur le prophète est souvent invoqué pour confirmer l’idée qu’il y a d’un côté la religion, et de l’autre, la vie. Un jour, un compagnon est venu exprimer son mal-être : quand il est à côté du prophète, il est au contact de la révélation, de la sagesse divine. Celle-ci le met au contact de la réalité de la vie présente et de ce qui l’attend dans le futur. Sa conviction et son engagement envers Dieu s’intensifient. Mais dès qu’il s’éloigne du prophète pour « faire sa vie », pour s’occuper de ses affaires quotidiennes, tout est oublié : plus de Dieu, plus de prophète, plus de Paradis ni d’enfer… Pour apaiser son mal-être spirituel, le prophète lui répond :

« Par Celui qui a mon âme entre Ses mains ! Si vous restiez constamment dans l’état dans lequel vous vous trouvez lorsque vous êtes en ma compagnie et que vous êtes occupés à vous souvenir de Dieu, les anges vous serreraient la main dans votre lit et sur votre route. Mais, ô Handhala ! Il y a un temps pour tout ! »7

والذي نفسي بيده لو تدومون على ما تكونون عندي، وفي الذكر، لصافحتكم الملائكة على فرشكم وفي طرقكم، ولكن يا حنظلة ساعة وساعة

Là encore, le prophète n’est pas en train d’enseigner que le musulman doit donner du temps « pour la religion » et du temps « pour la vie ». Dans cette vie, il n’y a qu’un seul temps pour réaliser la volonté de Dieu à travers les situations et les activités quotidiennes. Prendre du plaisir avec sa femme, être avec ses enfants pour jouer ou pour éduquer, ce n’est pas « faire sa vie » en dehors de la religion. Et aller prier Dieu, ce n’est pas quitter la vie pour rejoindre la religion. Dans les deux cas, c’est vivre la vraie vie, selon la religion et la sagesse révélée. On peut faire ces mêmes activités de façon injuste, par exemple en faisant la prière pour avoir une bonne image sociale, ou en étant totalement absent dans l’éducation de ses enfants. Dans ce cas, c’est pratiquer la religion dans la forme, tout en transgressant la sagesse que Dieu nous révèle. 

Dans un autre ḥadīth, des compagnons ressentaient le même malaise. Leur malaise n’est pas une maladie : c’est un signe de bonne santé morale et spirituelle. C’est le signe qu’ils aiment Dieu et qu’ils désirent Lui plaire à travers toutes les situations de la vie quotidienne. C’est le signe qu’ils sont ouverts pour découvrir comment faire. Étant de condition modeste, ils avaient l’impression de manquer de moyens pour répondre à l’Invitation de Dieu de faire le bien, contrairement aux musulmans les plus riches. Autrement dit, ils avaient le sentiment d’être désavantagés par rapport aux plus riches. Car plus on est riche, plus on peut multiplier les dons. Et plus on est de condition modeste, moins on a les moyens de faire des dons et donc des bonnes actions. C’est avec ce sentiment d’injustice qu’ils sont venus se plaindre. Le prophète va leur répondre en corrigeant leur conception de la religion et du bien, en leur montrant la valeur des activités ordinaires telles que prendre du plaisir avec sa femme, du point de vue même de la religion. En ce sens, il leur enseigne que prendre du plaisir avec sa femme, c’est comme faire un don, c’est une bonne action parmi d’autres bonnes actions qui font mériter le Paradis. Voici le dialogue initié par les compagnons :

Les compagnons expriment ainsi leur sentiment d’injustice : « Les riches se sont accaparé toutes les récompenses : ils prient comme nous et jeûnent comme nous et, en plus, ils font des dons avec le surplus de leurs biens… »  

Le prophète leur répond : « Dieu ne vous a-t-il pas donné de quoi faire des dons ? Louer Dieu est un don. Dire “Dieu est le plus grand” (Allāhu akbar) est un don. Dire “Louange à Dieu” (Al-hamdulillāh) est un don. Dire “Il n’existe aucune autre divinité si ce n’est Dieu l’Unique” (Lā ilāha illā Allāh) est un don. De même, défendre le bien et résister au mal ou même faire l’amour, c’est faire un don. »

Les compagnons surpris demandent alors : « Ô messager de Dieu, comment se fait-il que lorsque l’un de nous se fait plaisir dans son couple, il obtient ainsi la récompense d’un don ? »

Le prophète répond : « Et s’il fait la même chose, mais dans une situation interdite, ce sera compté comme un mal, n’est-ce pas ? De la même manière, s’il le fait en respectant ce qui est permis, il mérite la récompense d’un don8. »

Ainsi, à la lumière de la sagesse enseignée par le prophète Muḥammad (paix sur lui), on comprend qu’« Il y a un temps pour tout » : un temps pour se rapprocher de Dieu et de son prophète pour comprendre quel est le sens de la vie et ce qui est attendu de moi ; un temps pour le mettre en pratique dans les situations de la vie quotidienne. La même religion, la même sagesse doit nous éclairer et nous orienter, à la mosquée et au travail, en famille et dans la rue, dans la gestion des affaires collectives et dans l’art… Être au travail ou avec ses enfants, ce n’est pas du « temps perdu » par rapport au temps que l’on doit donner à la religion : c’est le lieu et le moment où la religion doit se vivre. Au travail, la religion doit se vivre par le souci d’évaluer la finalité et l’impact de ce qu’on fait sur les autres et sur la nature ; par le souci de défendre ce qui est juste et de résister à toute forme d’injustice professionnelle… Avec les enfants, la religion doit se vivre par le plaisir de jouer ensemble, par le désir de transmettre l’amour de Dieu, donc l’amour de la vérité, du bien et de la justice…

En réalité, la conception séparatiste selon laquelle il y a d’un côté la religion, et de l’autre, la vie, n’est pas universelle : c’est la conception moderne et laïque. L’islam, depuis Adam jusqu’au dernier prophète Muḥammad (paix sur eux tous), révèle une autre façon de voir la religion comme sagesse à vivre, comme voie universelle pour apprendre à vivre selon la justice et la sagesse, pour construire une civilisation juste. 

Dans la langue arabe du Coran, il n’existe aucun mot pour dire d’une chose ou d’une personne, d’une action ou d’une institution, d’une loi ou d’une idée, d’une connaissance ou d’une pratique qu’elle est « profane », « laïque » ou « religieuse ». Car une chose, une activité, une idée, une connaissance ou une loi ou une pratique peut être juste ou injuste, bonne ou mauvaise, mais pas « religieuse » ou « profane », pas « sacrée » ou « laïque ». Ces distinctions sont des fictions du langage et de l’esprit moderne : rien dans l’univers et rien dans la révélation ne correspond à ces mots. 

En réalité, sur terre, tout ce que l’on pense, dit ou fait est soit conforme à la voie de la justice et de la sagesse que Dieu nous invite à suivre, soit une forme de transgression et d’injustice. 

L’être humain n’est pas invité à vivre de façon divisée, comme un schizophrène qui doit suivre deux ordres contradictoires : la religion en théorie et la vraie vie en pratique, les valeurs dans la sphère privée, et la loi du plus fort dans la sphère publique. 

Aucune intention, aucune pensée, aucune parole et aucune action n’est « neutre ». Par exemple, manger n’est pas neutre. Manger, ce peut être une chose bonne ou mauvaise, du point de vue de l’islam : selon le contenu de ce qu’on mange (le ḥalāl et le ṭayyib, le permis et le bon), la façon de manger, la façon dont on a acquis ce qu’on mange, la façon de partager et d’utiliser ce qu’on mange, etc. En effet, manger une tomate qu’on a cultivée en utilisant des pesticides qui ont détruit l’écosystème, c’est participer à une façon injuste de traiter la nature. Manger un bon repas qu’on a payé avec de l’argent volé, c’est manger injustement le bien des autres. Manger sans se soucier de son voisin qui a faim, sans partager une partie de ce qu’on a, c’est commettre une injustice. Manger les biens des autres – voler l’héritage de l’orphelin ou de sa famille, s’arranger avec un réseau de juges, de notaires, d’avocats et de fonctionnaires pour déshériter une famille, gagner de l’argent en volant les autres, gagner de l’argent grâce aux intérêts que l’on fait subir à celui à qui on prête de l’argent, etc. – revient à manger de façon injuste, à manger des choses éventuellement bonnes et bio, mais grâce à de l’argent mal acquis. Le Coran nous rappelle de façon insistante :

« Ne vous dépouillez pas injustement les uns les autres de vos biens (ou mot à mot : ne mangez pas vos biens les uns les autres de façon injuste). Ne les utilisez pas pour obtenir la faveur des juges et vous approprier injustement et en toute connaissance de cause, une part des biens des gens. » 

وَلَا تَأْكُلُوا أَمْوَالَكُم بَيْنَكُم بِالْبَاطِلِ وَتُدْلُوا بِهَا إِلَى الْحُكَّامِ لِتَأْكُلُوا فَرِيقًا مِّنْ أَمْوَالِ النَّاسِ بِالْإِثْمِ وَأَنتُمْ تَعْلَمُونَ

 Coran 2 : 188

Manger n’est donc pas un acte qui relève simplement de « la dunyā » ou de la vie : l’islam a quelque chose d’essentiel à dire sur l’alimentation. 

De la même façon, voyager n’est pas neutre. On peut voyager partout dans le monde. La terre entière est à Dieu. Mais voyager dans un pays dont l’État profite des bénéfices du tourisme pour renforcer l’oppression contre son peuple, c’est participer à l’injustice. Voyager en traitant systématiquement l’autre comme un simple moyen de satisfaire mes envies, en consommant sa culture et sa tradition comme un produit jetable, c’est maltraiter l’autre, c’est commettre une injustice envers lui. A l’inverse, voyager pour revenir au centre de la vie, à Dieu, à ce qu’Il attend de nous, à ce qu’on doit changer dans sa vie, en agissant avec l’autre et avec la nature de façon juste, c’est précisément la façon de voyager que Dieu nous invite à pratiquer. Voyager n’est donc pas un acte qui relève simplement de « la dunyā » ou de la vie : l’islam a quelque chose d’essentiel à dire sur le voyage, sur sa finalité et ses modalités.

Prenons une dernière illustration. Étudier n’est pas neutre. La science est une chose que l’islam nous invite à cultiver. Mais toutes les sciences ne se valent pas. Toutes les façons de faire et d’utiliser la science ne se valent pas. En effet, on peut étudier pour « réussir » égoïstement sa vie, tout en participant au mal de son gouvernement ou de son entreprise. On peut étudier des connaissances qui sont corrompues par le biais de l’ethnocentrisme et du racisme et participer à la justification de la domination de l’Autre. On peut étudier des connaissances qui participent à enrichir les plus forts et à maltraiter les plus vulnérables. De la biologie à la sociologie, en passant par la philosophie, la littérature, la psychologie, la physique, l’informatique, etc. : toutes les sciences peuvent servir à dominer ou à libérer, à réduire l’injustice faite aux plus faibles ou à les écraser, à préserver la nature ou à la détruire… À titre d’illustration, prenons le cas des sciences de l’informatique, du numérique ou du « digital ». Elles sont complètement orientées vers l’accumulation, le stockage et l’utilisation politico-commerciale des données personnelles de chaque être humain dans la planète. Les nouvelles « applications » impliquent une démarche de collecte, de contrôle et de manipulation des données de la vie personnelle, au service des États et des multinationales. Les sciences ne sont pas neutres : elles vont dans une certaine direction qui est soit source de bien, soit source d’injustice. Étudier n’est donc pas un acte qui relève simplement de « la dunyā » ou de la vie : l’islam a quelque chose d’essentiel à dire sur tous les savoirs, sur leur objet, sur leur finalité, sur leur utilité, sur leur utilisation et leur impact sur le monde.

Ainsi, il n’y a pas d’un côté « une vie religieuse » et de l’autre, « une vie profane » ou « laïque ». Il n’y a pas non plus une « vérité religieuse » d’un côté, et de l’autre, une « vérité laïque ». 

Pour autant, on ne peut pas dire que « tout est religieux », car ce serait justifier moralement et sacraliser tout ce que l’être humain fait, y compris ses erreurs et ses injustices. En fait, dans ce qu’on appelle « le religieux », il peut y avoir du bien comme du mal, de même dans ce qu’on appelle « le profane ». 

C’est pourquoi l’islam n’utilise pas les mots « religieux » et « profanes » pour aider chacun à bien s’orienter dans sa vie : car ils n’aident pas à s’orienter. Ils remplacent la distinction universelle du bien et du mal, du juste et de l’injuste, du vrai et du faux, par une distinction artificielle source de confusion. 

Aimer Dieu, c’est chercher à vivre selon la justice et la sagesse dans toutes les situations de la vie quotidienne, à la mosquée comme au travail, dans la rue comme dans les institutions, en privé comme en public, avec les siens comme avec les autres et avec la nature…

La vie est le terrain de jeu et d’expression de l’islam

La vie présente est la somme de tout ce qu’il y a sur terre, dans la mer et dans le ciel : les animaux et les végétaux, les humains et les autres créatures, le bien et le mal que l’homme peut faire dans cette vie, les bonnes choses et les mauvaises qu’il peut causer…

La « religion » (al-dīn), ce n’est pas une chose, mais une façon de faire avec les choses de la vie. Ce n’est pas un objet : c’est une « voie » et une « méthode » qui nous révèle comment mener une vie bonne :

« Et sur toi (Muḥammad), Nous avons fait descendre le Livre avec la vérité, pour confirmer le Livre qui était là avant lui et pour prévaloir sur lui. Juge donc parmi eux selon ce que Dieu t’a révélé. Ne te conforme pas à leurs passions les plus injustes, en te détournant de la vérité qui t’est venue. À chacun de vous Nous avons donné une voie (shir‘ah) et une méthode (minhājā). Et si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule et même communauté ; mais Il veut vous éprouver pour voir l’usage que chaque communauté fera de ce qu’Il lui a donné. Rivalisez donc d’efforts dans les bonnes actions, car c’est vers Dieu que vous ferez tous retour, et Il vous éclairera alors sur l’objet de vos divergences. » 

وَأَنزَلْنَا إِلَيْكَ الْكِتَابَ بِالْحَقِّ مُصَدِّقًا لِّمَا بَيْنَ يَدَيْهِ مِنَ الْكِتَابِ وَمُهَيْمِنًا عَلَيْهِ ۖ فَاحْكُم بَيْنَهُم بِمَا أَنزَلَ اللَّهُ ۖ وَلَا تَتَّبِعْ أَهْوَاءَهُمْ عَمَّا جَاءَكَ مِنَ الْحَقِّ ۚ لِكُلٍّ جَعَلْنَا مِنكُمْ شِرْعَةً وَمِنْهَاجًا ۚ وَلَوْ شَاءَ اللَّهُ لَجَعَلَكُمْ أُمَّةً وَاحِدَةً وَلَٰكِن لِّيَبْلُوَكُمْ فِي مَا آتَاكُمْ ۖ فَاسْتَبِقُوا الْخَيْرَاتِ ۚ إِلَى اللَّهِ مَرْجِعُكُمْ جَمِيعًا فَيُنَبِّئُكُم بِمَا كُنتُمْ فِيهِ تَخْتَلِفُونَ

 Coran 5 : 48

De façon métaphorique, on pourrait dire que la vie est à l’image d’un terrain de football et que ce sport est à l’image de l’islam : le terrain de jeu, c’est le moyen et le lieu où le jeu et les règles du football peuvent s’appliquer. Mais le football, ce n’est pas le terrain : c’est un jeu avec des règles. Ainsi, la vie est « le terrain de jeu » de l’islam : c’est le moyen et le lieu où la sagesse révélée peut être « jouée », où elle peut et doit être pratiquée. 

Ainsi, on peut dire que l’islam n’est pas un sujet parmi d’autres, comme peuvent l’être le sport, l’art, la culture ou la politique. L’islam, c’est la voie et la méthode pour vivre selon la justice et la sagesse. Et la vie, c’est l’affaire même de l’islam. Autrement dit, le sport, l’art, la culture ou la politique…, c’est l’affaire même de l’islam en ce sens que c’est dans chacun de ces domaines de la vie que la justice et la sagesse doivent se concrétiser. 

La vie est le terrain de l’épreuve

Reconnaître que Dieu existe, que Dieu est Unique, Créateur de tout, c’est savoir que Dieu nous met à l’épreuve dans cette vie, à travers le mal et le bien, ce que l’on perd ou gagne, les personnes que l’on aime ou que l’on déteste, sa famille, ses amis ou ses ennemis, les croyants et ceux qui ne croient pas. Tout est là pour mettre à l’épreuve sa fidélité au Vrai, au Bien et au Juste. 

En effet, la vie présente est le champ où chacun peut semer des idées, des paroles et des actions au service du Bien. C’est un lieu de plaisir, mais aussi d’épreuve, de la mise à l’épreuve de sa fidélité au pacte originel passé avec Dieu :

« Béni soit Celui qui tient en Sa main le royaume et qui a le pouvoir sur toute chose ! Celui qui a créé la mort et la vie pour vous éprouver [et reconnaître] qui de vous agit le mieux. C’est Lui le Puissant, plein de pardon. »

تَبَارَكَ الَّذِي بِيَدِهِ الْمُلْكُ وَهُوَ عَلَىٰ كُلِّ شَيْءٍ قَدِيرٌالَّذِي خَلَقَ الْمَوْتَ وَالْحَيَاةَ لِيَبْلُوَكُمْ أَيُّكُمْ أَحْسَنُ عَمَلًا ۚ وَهُوَ الْعَزِيزُ الْغَفُورُ

 Coran 67 : 1-2

La vie présente est donc la Maison de l’épreuve (Dār al-ibtilā) un lieu qui a sa part de négatif : le jeu et la jouissance y sont éphémères (la‘ib, matā‘ ilā ḥīn), la jouissance peut être illusoire (matā‘ al-ghurûr), le bien et le mal que l’on expérimente peut nous perdre. 

La vie présente est illusoire et trompeuse, car les contraintes quotidiennes ainsi que la course aux richesses, au pouvoir et aux plaisirs nous distraient, nous font oublier notre vocation, nos devoirs dans cette vie et notre rendez-vous avec Dieu dans la vie dernière :

« Ceux qui ont pris leur voie pour un divertissement et un jeu et que la vie présente a séduits. Nous les oublions en ce jour, comme eux-mêmes ont oublié leur rencontre de ce jour, et parce qu’ils ont nié Nos signes. »

الَّذِينَ اتَّخَذُوا دِينَهُمْ لَهْوًا وَلَعِبًا وَغَرَّتْهُمُ الْحَيَاةُ الدُّنْيَا ۚ فَالْيَوْمَ نَنسَاهُمْ كَمَا نَسُوا لِقَاءَ يَوْمِهِمْ هَٰذَا وَمَا كَانُوا بِآيَاتِنَا يَجْحَدُونَ

 Coran 7 : 51

« Sachez que la vie présente n’est que jeu, amusement, vaine parure, une course à l’orgueil entre vous et une rivalité dans l’acquisition des richesses et des enfants. Elle est semblable à une pluie : ceux qui sont dans le déni de Dieu s’émerveillent des plantes qu’elle fait pousser ; puis elles se fanent, tu les vois jaunir et elles deviennent de la paille sèche. Dans la vie dernière, il y a un châtiment terrible et un pardon de Dieu avec Sa satisfaction. Et la vie présente n’est que jouissance illusoire. »

اعْلَمُوا أَنَّمَا الْحَيَاةُ الدُّنْيَا لَعِبٌ وَلَهْوٌ وَزِينَةٌ وَتَفَاخُرٌ بَيْنَكُمْ وَتَكَاثُرٌ فِي الْأَمْوَالِ وَالْأَوْلَادِ كَمَثَلِ غَيْثٍ أَعْجَبَ الْكُفَّارَ نَبَاتُهُ ثُمَّ يَهِيجُ فَتَرَاهُ مُصْفَرًّا ثُمَّ يَكُونُ حُطَامًا وَفِي الْآخِرَةِ عَذَابٌ شَدِيدٌ وَمَغْفِرَةٌ مِّنَ اللَّهِ وَرِضْوَانٌ وَمَا الْحَيَاةُ الدُّنْيَا إِلَّا مَتَاعُ الْغُرُورِ

 Coran 57 : 20

De nos jours, à force d’enchaîner le travail, les vidéos et les publications sur les réseaux sociaux, les films et les séries, on se déconnecte de plus en plus de la grande réalité : on oublie qu’on est libre, mais aussi responsable de sa vie, et qu’on devra rendre compte de ses actes devant Dieu, le Jour du Jugement. En étant distrait de son devoir de participer à rendre le monde meilleur, on a tendance à laisser le mal faire sa loi, en soi-même et dans la vie collective. Depuis le début de l’humanité, la sagesse divine a eu pour finalité de prévenir l’homme pour l’arracher de l’oubli et de l’insouciance :

« Et avertis-les du jour du Regret, quand l’ordre sera donné, alors que ceux qui n’ont pas adhéré à la voie de Dieu seront plongés dans l’insouciance. C’est Nous qui hériterons de la terre et de tout ce qu’elle porte, et c’est à Nous qu’ils feront tous retour. »

وَأَنذِرْهُمْ يَوْمَ الْحَسْرَةِ إِذْ قُضِيَ الْأَمْرُ وَهُمْ فِي غَفْلَةٍ وَهُمْ لَا يُؤْمِنُونَ
إِنَّا نَحْنُ نَرِثُ الْأَرْضَ وَمَنْ عَلَيْهَا وَإِلَيْنَا يُرْجَعُونَ

 Coran 19 : 39

« Le compte approche pour les hommes, alors que dans leur insouciance ils s’en détournent. »

اقْتَرَبَ لِلنَّاسِ حِسَابُهُمْ وَهُمْ فِي غَفْلَةٍ مُّعْرِضُونَ

 Coran 21 : 1

Tout le mal vient du fait que les hommes ne se demandent pas des comptes sur leurs actes dans cette vie :

« Ces gens aiment la vie éphémère et ils délaissent un Jour grave [le Jour du Jugement] . »

إِنَّ هَٰؤُلَاءِ يُحِبُّونَ الْعَاجِلَةَ وَيَذَرُونَ وَرَاءَهُمْ يَوْمًا ثَقِيلًا 

 Coran 76 : 27

Tout le mal vient de ce que ces gens « s’alourdissent » dans la vie au lieu de vivre « léger ». Ils s’alourdissent en suivant systématiquement leurs passions, quitte à faire le mal, comme s’ils allaient vivre éternellement :

« Malheur à tout calomniateur diffamateur, qui cumule la richesse et la compte, pensant que sa fortune le rendra immortel. »

وَيْلٌ لِّكُلِّ هُمَزَةٍ لُّمَزَةٍ
الَّذِي جَمَعَ مَالًا وَعَدَّدَهُ
يَحْسَبُ أَنَّ مَالَهُ أَخْلَدَهُ

 Coran 104 : 1-3

« Raconte-leur l’histoire de celui à qui Nous avons apporté Nos signes. Il s’en est détourné pour suivre Satan et a été parmi les égarés. Si Nous l’avions voulu, Nous l’aurions élevé grâce à ces signes ; mais il s’est trop attaché à la terre et a suivi ses passions les plus injustes. Ainsi, il ressemblait au chien qui, si tu le chasses, halète la langue pendante, et qui fait de même si tu le laisses tranquille. Tel est l’exemple des gens qui sont dans le déni face à Nos signes. Raconte-leur donc les récits : peut-être vont-ils réfléchir ? »

وَاتْلُ عَلَيْهِمْ نَبَأَ الَّذِي آتَيْنَاهُ آيَاتِنَا فَانسَلَخَ مِنْهَا فَأَتْبَعَهُ الشَّيْطَانُ فَكَانَ مِنَ الْغَاوِينَ
وَلَوْ شِئْنَا لَرَفَعْنَاهُ بِهَا وَلَٰكِنَّهُ أَخْلَدَ إِلَى الْأَرْضِ وَاتَّبَعَ هَوَاهُ ۚ فَمَثَلُهُ كَمَثَلِ الْكَلْبِ إِن تَحْمِلْ عَلَيْهِ يَلْهَثْ أَوْ تَتْرُكْهُ يَلْهَث ۚ ذَّٰلِكَ مَثَلُ الْقَوْمِ الَّذِينَ كَذَّبُوا بِآيَاتِنَا ۚ فَاقْصُصِ الْقَصَصَ لَعَلَّهُمْ يَتَفَكَّرُونَ

 Coran 7 : 175-176

« Ô vous qui avez adhéré à la voie de Dieu ! Quand il vous est dit : “Lancez-vous au service de la cause de Dieu !”, qu’avez-vous à vous alourdir sur terre ? Préférez-vous la vie présente à la vie future ? Mais les plaisirs de cette vie ne sont-ils pas bien peu de chose, comparés à la vie future ? »

يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا مَا لَكُمْ إِذَا قِيلَ لَكُمُ انفِرُوا فِي سَبِيلِ اللَّهِ اثَّاقَلْتُمْ إِلَى الْأَرْضِ أَرَضِيتُم بِالْحَيَاةِ الدُّنْيَا مِنَ الْآخِرَةِ فَمَا مَتَاعُ الْحَيَاةِ الدُّنْيَا فِي الْآخِرَةِ إِلَّا قَلِيلٌ

 Coran 9 : 38

Ces gens vivent comme s’ils n’allaient pas devoir rendre des comptes à Dieu, comme s’ils n’avaient aucun devoir envers Dieu et envers la création. Ils vivent dans l’injustice passive, par leur indifférence au mal et le repli sur leur bulle individualiste, sans se remettre en question, sans se réformer, jusqu’à ce que le mal soit devenu une habitude personnelle, une culture et une organisation sociale. Ils se sont alourdis sur la terre.

A l’inverse, vivre léger, c’est vivre sans faire de tout ce qui arrive dans la vie un drame, sans s’accrocher à toutes les bonnes choses comme s’il n’y avait rien de meilleur. C’est vivre en ayant le sens de la gravité envers l’essentiel, tout en étant détaché par rapport aux choses secondaires. La volonté de Dieu – c’est-à-dire le Bien – est ce qui est central. Les plaisirs de la vie sont secondaires s’ils entrent en contradiction avec l’essentiel. Cette capacité à distinguer l’essentiel du secondaire rend l’être humain léger. Ça ne va pas au travail ou dans son couple ? Ce n’est pas la fin du monde : tout peut changer. Le cumul des richesses fait perdre la tête ? Il suffit de revenir aux priorités de la vie, à l’essentiel, pour que tout rentre dans l’ordre. On est devenu riche alors qu’on était de condition modeste ? C’est une bonne chose. Mais il y a quelque chose de meilleur : servir la volonté de Dieu, servir le Bien sur terre, avec sa richesse et sa personne. 

La vie présente est donc un terrain de jeu éprouvant, car chacun court le risque de sombrer dans l’un des deux malheurs : rater sa vie présente et future. 

L’islam est là pour aider à bien orienter sa vie et non pas simplement pour « s’adapter » à la vie

L’islam, en tant que sagesse universelle, ne doit pas simplement « s’adapter » à la vie. Si la sagesse devait « s’adapter » à la vie, alors elle se pervertirait en une forme de justification de toutes les injustices économiques, politiques, culturelles et religieuses… Car si elle s’adapte à tout, tout devient alors « religieux », le bien comme le mal, la justice comme l’injustice, le mensonge comme la vérité. 

La religion, au sens où l’islam l’entend, est une voie naturelle, adaptée à la nature de l’homme et du monde. Tout dans l’univers vit selon l’islam. Tout être vivant est déjà « musulman », par nature, en ce sens qu’il vit selon la volonté de Dieu qui se manifeste à travers la loi universelle de la nature. L’être humain est également « musulman » par nature, animé d’un sens commun qui lui fait reconnaître la réalité de Dieu l’Unique et de la voie naturelle. Mais l’être humain, à la différence des autres êtres vivants visibles, est libre de cultiver cette voie naturelle en faisant le bien et en résistant au mal dans sa vie, ou à l’inverse, de transgresser la voie de Dieu. 

La vocation de l’islam n’est pas de s’adapter à tout, à la loi du plus fort, à l’égoïsme et à l’injustice d’une communauté, d’une nation, d’une génération ou d’une époque. C’est précisément d’ouvrir la vie sur la volonté de Dieu, c’est-à-dire sur le sens de la justice et de la sagesse. Ce faisant, l’islam ne fait pas que s’adapter à la vie : il l’interroge, l’interpelle, la fait réfléchir, lui montre ses contradictions et ses impacts négatifs, l’oriente et la réoriente, la réforme et la transforme à chaque fois que cela est nécessaire…

L’islam : une voie pour réussir sa vie présente et future

Toute religion et toute philosophie vise à éclairer l’être humain sur sa façon de vivre en répondant à la question : « Quel est le sens de la vie ? Et comment mener ma vie ? ». Faut-il rejeter la vie et se concentrer sur soi ou sur Dieu ? Faut-il renoncer aux plaisirs de la vie et se contraindre à vivre du minimum vital ? Faut-il s’éloigner de l’argent, de la richesse, de l’activité économique, du travail, pour se concentrer sur sa spiritualité ? Ou au contraire, faut-il réaliser ses ambitions de pouvoir… ?

La philosophie coranique de la vie peut se résumer ainsi : la vie est un don de Dieu, un cadeau. C’est aussi un dépôt, une marque de confiance de Dieu envers l’être humain. L’être humain a le pouvoir d’être libre, donc de faire le bien et le mal. En ce sens, la vie est aussi une épreuve. Dieu lui fait confiance : face aux épreuves de la vie, l’être humain est capable de maîtriser sa tendance à faire le mal et d’exprimer davantage sa tendance à faire le bien. Dieu, à travers les révélations successives et les prophètes, lui envoie la grande Invitation ou Da‘wah : reconnaître et remercier Dieu l’Unique ; jouir des bonnes choses de la vie ; faire le bien et résister au mal, en soi-même et autour de soi. En suivant cette voie simple et universelle, l’être humain peut atteindre « les deux réussites », dans la vie présente et future :

« Et recherche à travers ce que Dieu t’a donné, la Demeure dernière. Et n’oublie pas ta part en cette vie. Et sois bon comme Dieu est bon pour toi. Ne sème pas le désordre sur la terre. Dieu n’aime pas les fauteurs de désordre ! »

وَابْتَغِ فِيمَا آتَاكَ اللَّهُ الدَّارَ الْآخِرَةَ ۖ وَلَا تَنسَ نَصِيبَكَ مِنَ الدُّنْيَا ۖ وَأَحْسِن كَمَا أَحْسَنَ اللَّهُ إِلَيْكَ ۖ وَلَا تَبْغِ الْفَسَادَ فِي الْأَرْضِ ۖ إِنَّ اللَّهَ لَا يُحِبُّ الْمُفْسِدِينَ

 Coran 28 : 77

Le Coran invite l’être humain à vivre selon la sagesse en évitant deux excès : oublier sa part de plaisir et de bonheur dans cette vie ; oublier la vie dernière pour laquelle on doit préparer les bonnes actions avant de rendre des comptes à Dieu. Ceux qui oublient la vie présente, ce sont des personnes qui se détournent des bonnes choses (ṭayyibāt) et des belles choses de la vie (zīnah al-ḥayāh) que Dieu nous a offertes. Ils s’éloignent également des combats de la vie pour participer à un monde plus juste. En effet, ils ne se battent pas pour que les enfants soient mieux éduqués, pour que ceux qui se dévouent au service public (les infirmières, les enseignants…) soient mieux payés, pour que les minorités soient traitées de façon plus équitable, etc. En se coupant des bonnes choses de la vie d’une part, et d’autre part, des combats pour une cause juste, ils réduisent la religion à une forme d’égoïsme spirituel qui consiste à ne s’intéresser qu’à « Moi et Dieu ». 

A l’inverse, ceux qui oublient la vie dernière, ce sont les personnes qui se noient dans les plaisirs de la vie, qui ne font plus la différence entre le bien et le mal, qui ne participent pas à la construction d’un monde plus juste. Ils réduisent la vie à l’immédiat et à un égoïsme qui consiste à ne s’intéresser qu’à soi et à tout ce qui peut contribuer à son bien-être personnel, y compris la religion. Préférer la vie présente à la vie dernière, c’est choisir le plaisir immédiat et sacrifier le bien durable : 

« Vous préférez la vie présente, alors que la vie future est meilleure et plus durable. »

بَلْ تُؤْثِرُونَ الْحَيَاةَ الدُّنْيَاوَالْآخِرَةُ خَيْرٌ وَأَبْقَىٰ

 Coran 87 : 16-17

Au lieu de sacrifier le bien durable pour satisfaire un bien immédiat, le Coran invite chacun d’entre nous à rechercher deux « parts » de bonheur : une part dans la vie présente et une part dans la vie future. Négliger la vie présente, c’est transgresser la volonté de Dieu, car chacun est invité à jouir des bonnes choses, à s’engager à faire le bien et à résister au mal sur tous les fronts de la vie. Dieu commande à son prophète d’interpeller ainsi ceux qui sont tentés de se retirer du monde au nom de la vertu et de la spiritualité :

« Dis : “Qui a interdit les belles choses que Dieu a produites pour Ses serviteurs, ainsi que les bonnes nourritures ?” Dis : “Elles sont pour ceux qui ont adhéré à la voie de Dieu, dans la vie présente, et exclusivement à eux au Jour de la Résurrection”. C’est ainsi que Nous exposons clairement les signes pour les gens qui savent. » 

قُلْ مَنْ حَرَّمَ زِينَةَ اللَّهِ الَّتِي أَخْرَجَ لِعِبَادِهِ وَالطَّيِّبَاتِ مِنَ الرِّزْقِ ۚ قُلْ هِيَ لِلَّذِينَ آمَنُوا فِي الْحَيَاةِ الدُّنْيَا خَالِصَةً يَوْمَ الْقِيَامَةِ ۗ كَذَٰلِكَ نُفَصِّلُ الْآيَاتِ لِقَوْمٍ يَعْلَمُونَ

 Coran 7 : 32

Négliger la vie future, c’est transgresser la volonté de Dieu, car chacun doit se rappeler qu’un jour, il devra rendre des comptes sur ce qu’il a fait dans sa vie, ceci pour mieux se préparer, dès aujourd’hui, à mériter le Paradis de demain. Car c’est « à travers ce que Dieu t’a donné » dans la vie présente que se joue le futur de chacun. En effet, c’est à travers le savoir ou le pouvoir, la difficulté ou l’aisance, le célibat ou le mariage, les études ou le travail, la paix ou le conflit, l’agriculture ou l’éducation…, que se joue pour chacun la fidélité à l’islam, c’est-à-dire à la justice et à la sagesse. 

En ce sens, Dieu nous montre deux types de personnes qui ont toutes deux adhéré à sa voie : la première prie Dieu, mais son cœur est absorbé par les choses de la vie au point qu’elle en oublie ce que Dieu attend d’elle, qu’elle en oublie de multiplier les bonnes actions en vue de réussir sa vie dernière. La deuxième prie Dieu également, mais elle désire avoir une belle vie ici et maintenant ainsi que dans la vie dernière. Les belles choses de cette vie ne l’ont pas distraite de ses devoirs envers Dieu et envers le monde. Dieu préfère l’attitude de la deuxième personne, car les biens de cette vie ne la distraient pas du Jour du Jugement qu’elle prépare déjà dans cette vie, parce qu’elle y pense, parce qu’elle agit dans cette vie en pensant aux comptes qu’elle aura à rendre, ce qui rend ses actions meilleures :

« Une fois vos rites terminés, invoquez Dieu comme vous invoquez d’habitude vos pères, mais avec une ferveur plus vive encore. Mais il y a des gens qui disent seulement : “Seigneur ! Accorde-nous une belle part dans la vie présente !” Ceux-là n’auront aucune part dans la vie dernière. Et il y a des gens qui disent : “Seigneur ! Accorde-nous une belle part dans la vie présente et une belle part dans la vie dernière, et préserve-nous des tourments de l’Enfer !” Ceux-là auront une part de ce qu’ils auront acquis. Et Dieu est rapide dans les comptes. »

فَإِذَا قَضَيْتُم مَّنَاسِكَكُمْ فَاذْكُرُوا اللَّهَ كَذِكْرِكُمْ آبَاءَكُمْ أَوْ أَشَدَّ ذِكْرًا 
فَمِنَ النَّاسِ مَن يَقُولُ رَبَّنَا آتِنَا فِي الدُّنْيَا وَمَا لَهُ فِي الْآخِرَةِ مِنْ خَلَاقٍ 
وَمِنْهُم مَّن يَقُولُ رَبَّنَا آتِنَا فِي الدُّنْيَا حَسَنَةً وَفِي الْآخِرَةِ حَسَنَةً وَقِنَا عَذَابَ النَّارِ 
أُولَٰئِكَ لَهُمْ نَصِيبٌ مِّمَّا كَسَبُوا ۚ وَاللَّهُ سَرِيعُ الْحِسَابِ

 Coran 2 : 200-202

Ainsi, Dieu n’a pas créé la vie pour que l’être humain la rejette, s’en détourne ou la détruise. Il l’a créé pour que l’être humain la vive pleinement, pour qu’il jouisse de toutes les belles choses que Dieu a mises à sa disposition. La création est au service de l’être humain, elle est malléable, transformable en fonction de ses désirs et de ses projets. La vie et le monde sont un dépôt que Dieu confie à chacun. Ils doivent être cultivés et préservés contre la corruption et l’injustice. 

Profiter des bonnes choses de la vie n’est pas un mal : c’est même ce à quoi Dieu invite chacun d’entre nous. Mais profiter des bonnes choses de la vie de façon égoïste, sans partager le bien dont on peut jouir avec les autres, sans faire le bien pour les autres, sans résister au mal qui peut toucher les autres, sans accepter les limites nécessaires, c’est participer au désordre sur terre. 

La civilisation doit être bâtie selon la justice et la sagesse, et conduire chacun à se réaliser à travers la connaissance (al-‘ilm), la vertu (al-taqwā), l’excellence morale (al-iḥsān) et la beauté (al-jamāl).

Adhérer à l’islam, c’est s’engager à concrétiser la volonté de Dieu, c’est-à-dire la sagesse, dans toutes les choses de la vie, dans les tous les domaines de connaissances et d’activités, dans toutes les relations humaines, y compris dans la relation avec la nature. Tel est le sens de la voie (al-dīn) de l’islam, de l’adoration (al-‘ibādah) de Dieu qui est l’engagement à servir Dieu à travers les petits et les grands services que l’on rend à l’ensemble des créatures qui nous entourent. 

L’islam : une voie pour bien faire face aux contradictions de la vie 

L’islam est une voie naturelle universelle. Tout l’univers fonctionne selon l’ordre de Dieu. La vie de l’être humain fonctionne en partie selon l’ordre de Dieu. Mais Dieu a confié à chacun le dépôt de la liberté et donc de la responsabilité de ses choix et de ses actes. 

De façon régulière, la vie nous met en situation de contradiction : il y a un conflit entre ma femme et ma famille, qui dois-je écouter ? Il y a une tension entre la majorité et une minorité, qui dois-je défendre ? Il y a une guerre entre mon pays et un autre, qui dois-je défendre ? La pression sociale m’oblige à dépenser excessivement pour mon mariage, l’islam m’invite à être réaliste et raisonnable, qui dois-je suivre ? Face à une loi injuste, ma conscience exige de résister et de la réformer : qui dois-je écouter ? L’islam exige de moi d’être honnête et juste, mais mon travail m’impose de mentir et de tromper, qui dois-je suivre ? Il ne suffit pas de « s’adapter » : encore faut-il savoir à quoi on doit s’adapter. 

Depuis Adam jusqu’à Muḥammad (paix à tous les prophètes), l’islam a démontré sa capacité à s’adapter à la diversité humaine, géographique, culturelle, religieuse, économique et politique… Par exemple, faire les cinq prières quotidiennes est l’un des piliers de l’islam. Mais lorsqu’on est malade ou en voyage, on manque des bonnes conditions nécessaires pour les faire. On manque de santé, d’énergie et peut-être de temps… Dans un contexte de maladie ou de voyage, doit-on alors « s’adapter » et arrêter la prière ? L’islam, sans avoir besoin de se réformer, invite le musulman à s’adapter dans ce genre de cas en simplifiant et en réduisant la longueur de ses prières. L’islam est souple par nature et a démontré sa capacité à s’adapter sans se corrompre. Et lorsqu’il y a une contradiction entre l’islam et la vie, ce n’est pas toujours à l’islam de s’adapter à la vie. En effet, personne ne doit s’adapter pour être conforme à une société malade, à une communauté raciste, à une institution ou à une loi injuste. Dans tous ces cas, c’est la vie et ce sont les hommes qui doivent s’adapter, qui doivent se réorienter pour être meilleurs.

Par ailleurs, les contradictions ne se limitent pas à des contradictions entre « la religion et la vie » : la vie elle-même est contradictoire. Par exemple, le bien individuel peut être en contradiction avec le bien collectif. Le bien national peut être en contradiction avec le bien international. Le bien immédiat peut être en contradiction avec le bien futur. 

À chaque fois que la vie nous met dans une situation de contradiction, c’est le signe qu’il y a une épreuve à passer : il y a un choix de valeur qui doit être fait et assumé. C’est le signe que quelque chose doit être choisi ou sacrifié, changé ou défendu. On peut faire comme s’il n’y avait pas de choix de valeur, comme si on n’était pas libre de choisir, comme si « c’est la vie », c’est « normal ». On peut faire comme si rien ne devait changer ou comme si tout devait changer tout le temps. Ce faisant, on a toutes les chances de participer à l’injustice, par son action ou par son indifférence au mal. 

La vocation de l’islam, c’est d’offrir à chacun la sagesse pour éclairer les contradictions de la vie, pour aider à choisir et à s’orienter vers une vie bonne. 

Notes

  1. Coran 7 : 24
  2.  Coran 2 : 200-202.
  3. Coran 7 : 32.
  4. Ḥadīth Ṣaḥīḥ Muslim, n° 2362.
  5. Ḥadīth Ṣaḥīḥ Muslim, n° 2363.
  6.  Ḥadīth al-Bukhārī dans Al-Adab al-Mufrad n° 479.
  7. Ḥadīth Ṣaḥīḥ Muslim, n° 2750.
  8. Ḥadīth Ṣaḥīḥ Muslim.

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